En aout dernier, le Ghana, premier producteur d’or d’Afrique, a inauguré sa toute première raffinerie qui traitera l’or brut issu du secteur minier artisanal. En effet, l’or généralement extrait au Ghana est exporté par les grandes entreprises, majoritairement étrangères, vers des raffineries notamment situées aux Émirats arabes unis, en Suisse et en Inde.
Alors que le gouvernement tire parti des dividendes et des impôts versés par les grandes entreprises, le secteur de l’exploitation minière à petite échelle génère des revenus pour les mineurs locaux et favorise la croissance progressive des entreprises minières ghanéennes. Le Ghana compte plus d’un million de petits exploitants miniers qui assurent la subsistance de quelque 4,5 millions de personnes. L’exploitation minière artisanale à petite échelle représente plus de 35 % des activités minières et n’est réservée qu’aux Ghanéens titulaires d’un permis. Pourtant, plus de 85 % de ces activités sont encore menées illégalement.
L’exploitation minière illégale, communément appelée « galamsey » au Ghana, est l’un des principaux facteurs de dégradation rapide des sols, de déforestation et de risques sanitaires. En 2024, l’autorité ghanéenne de régulation de l’eau a tiré la sonnette d’alarme en annonçant que le pays pourrait importer de l’eau au cours des cinq prochaines années en raison de la présence de galamsey près des cours d’eau. Le Ghana, deuxième producteur mondial de cacao, a vu ses plantations être détruites pour faire place à des sites illégaux d’extraction d’or. Ces désagréments ont suscité des appels en faveur d’une interdiction totale de toutes les formes d’exploitation minière artisanale.
En janvier 2022, le gouvernement ghanéen a ramené de 3 % à 1,5 % la taxe sur l’or provenant des mineurs artisanaux, afin d’enrayer la contrebande du précieux minerai. Cela a entrainé une croissance des exportations légales d’or provenant de l’exploitation minière à petite échelle, même si la contrebande reste très répandue.
Les équipes de l’opération Vanguard, une force d’intervention conjointe de l’armée et de la police créée en 2017, ont effectué des descentes régulières sur les sites afin d’appréhender des mineurs artisanaux. Ces derniers étaient, pour la plupart, des personnes peu instruites et démunies. Malgré les nombreuses interventions, les commanditaires de l’exploitation illégale, qui sont des personnes très influentes, restent intouchables. Il s’agit notamment de réseaux locaux et étrangers qui se procurent des équipements et négocient l’accès aux terres auprès des chefs coutumiers, en tirant parti du fait que 80 % des terres ghanéennes sont détenues dans le cadre de la gouvernance coutumière.
D’après la loi, les zones dotées d’importantes ressources minérales deviennent la propriété du gouvernement après que celui-ci a indemnisé les propriétaires traditionnels. Mais il existe encore de nombreuses terres propices à l’exploitation minière illégale, menée avec l’approbation tacite des chefs coutumiers, qui reçoivent des redevances de la part des mineurs. Les exploitants opèrent également dans des zones reculées et des parcs nationaux qui bénéficient d’une faible surveillance par les autorités coutumières et étatiques.
La majeure partie de l’or extrait illégalement au Ghana est acheminée par des réseaux clandestins vers les Émirats arabes unis. Le Ghana aurait ainsi perdu environ 1,1 milliard de dollars de recettes provenant des exportations d’or entre 2019 et 2021. Dans un documentaire de la chaine d’information Al Jazeera intitulé Gold Mafia, Alistair Mathias, un citoyen canadien, affirme faire sortir clandestinement du Ghana, chaque mois, environ 40 millions de dollars d’or pour le compte d’acteurs étatiques influents. Les intérêts politiques et la corruption constituent donc des éléments clés du maintien de cette pratique illégale.
Les ressortissants étrangers, y compris ceux des pays voisins, aggravent la situation. Plusieurs citoyens chinois ont été appréhendés pour leur implication dans des opérations minières illégales, incluant notamment le recrutement des mineurs locaux et l’introduction de machines lourdes sur les sites. Mais seule une poignée fait l’objet de condamnation. La plupart des contrevenants chinois arrêtés écopent d’une amende ou sont expulsés du pays.
Aisha Huang, une Chinoise connue sous le nom de Galamsey Queen, a récemment fait l’objet d’une affaire très médiatisée. En décembre 2023, elle a été condamnée à quatre ans et demi de prison et au paiement d’une amende de 4 000 dollars américains. Aisha travaillait au Ghana depuis 2017 et avait été expulsée du pays à plusieurs reprises, mais y revenait toujours afin de poursuivre l’exploitation illégale de mines. Sa peine de prison est toutefois inférieure au minimum de 20 ans prévu pour les ressortissants non ghanéens engagés dans cette pratique, conformément à la loi modifiée de 2019 sur les minéraux et l’exploitation minière. Cette décision s’explique par le fait que le Ghana souhaite rester en bons termes avec la Chine, son principal investisseur étranger.
Le chômage qui sévit dans le pays a poussé de nombreux mineurs de certaines régions du nord à collaborer avec des mineurs plus expérimentés des pays voisins. Des Ghanéens impliqués dans le galamsey sur les sites miniers de Dollar Power, Accra et Dablakrou dans le parc national de Bui, qui chevauche la frontière entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, ont déclaré à ENACT : « Des ressortissants du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire ont commencé à exploiter ces zones en premier. Lorsque nous avons appris qu’ils trouvaient de l’or, nous nous y sommes installés parce qu’il s’agit du territoire ghanéen. »
La situation a d’abord mis le feu aux poudres entre Ghanéens et Ivoiriens. Mais avec le temps, ces zones minières sont devenues des communautés multiculturelles prospères et relativement cohésives, où vivent des familles de mineurs et des hommes d’affaires du Ghana, de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Nigéria, du Niger et du Togo. Toutefois, en raison de la faible présence de l’État, la région est devenue un lieu de transit pour la contrebande de marchandises entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, et l’exploitation potentielle de l’or par des extrémistes est préoccupante.
« Les extrémistes sont déjà engagés dans la contrebande de carburant et d’engrais, le trafic d’armes et le vol de bétail dans le nord du Ghana, en raison de la porosité des frontières avec le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire », a expliqué un haut fonctionnaire du gouvernement à Hamile. De plus en plus de gisements d’or sont découverts dans le nord du Ghana, et de fait, les extrémistes pourraient exploiter les mines illicites pour mobiliser des ressources et recruter des combattants. Certaines de ces activités sont menées en collaboration avec des Ghanéens qui ne sont pas conscients des implications ou qui les nient tout simplement.
En avril 2024, cinq Burkinabés ont été condamnés à 20 ans de prison pour avoir exploité illégalement des mines dans la région de l’Upper West au Ghana. Des représentants de l’État ont déclaré à ENACT que cette condamnation témoignait du fait que le Ghana s’inquiète de la menace extrémiste en provenance du Sahel. Dans le même ordre d’idées, le ministre de la Sécurité nationale, Albert Kan-Dapaah, a déclaré que les terroristes ciblaient probablement l’exploitation minière illégale dans le cadre de leur stratégie d’infiltration dans le pays.
Le gouvernement a récemment porté son attention sur ces communautés du nord qui recèlent d’immenses gisements d’or et étudie les possibilités d’y réglementer les opérations minières. Depuis 2019, il met en œuvre un programme d’exploitation minière communautaire visant à prévenir les opérations illégales, à améliorer les conditions de travail des mineurs et à recruter des membres de la communauté.
Toutefois, le déploiement du programme est lent, ce qui montre que le processus d’obtention d’une licence d’exploitation minière à petite échelle est long et ardu. Dans certaines régions où le programme a été mis en œuvre, les citoyens affirment que l’intérêt politique pour ce programme freine l’inclusion des communautés.
Les initiatives du Ghana pour mettre fin à l’exploitation illégale d’or doivent s’accompagner de réformes d’envergure visant à remédier à la corruption, aux carences des mesures d’exécution et à la complexité bureaucratique du processus hautement centralisé d’octroi et de gestion des licences. Afin de garantir une plus grande inclusion, le gouvernement pourrait déléguer ces processus d’octroi de licences et de gestion aux assemblées municipales et de district, en coopération avec les chefs coutumiers, familiers du contexte local et propriétaires des terres où se déroulent les activités illégales.
Les assemblées de district et les chefs locaux sont des maillons essentiels de la gestion inclusive et du suivi quotidien des activités minières. Ils sont à même de freiner l’exploitation des sites miniers situés sur leur territoire par des étrangers et des groupes extrémistes.
La mise en place de technologies d’intelligence artificielle pour cartographier les principaux sites d’exploitation minière illégale peut également permettre une meilleure coordination avec les dirigeants locaux, l’identification des commanditaires et le démantèlement des opérations illicites. Toutefois, le succès de ces actions dépend de la volonté de l’État d’endiguer les ingérences politiques et d’offrir des possibilités d’emploi aux communautés pauvres, pour qui l’exploitation minière illégale constitue un moyen essentiel de subsistance.
Ndubuisi Christian Ani, chercheur principal et coordinateur de projet, ENACT, ISS
Image : Ndubuisi Christian Ani/ENACT