Dans l’effervescence de la Coupe du monde de la FIFA, dont le coup d’envoi a été donné le 20 novembre, on ne peut nier que le crime transnational organisé fait partie du sport. La série de Netflix, FIFA Uncovered, met en lumière des affaires de corruption et de blanchiment par le sport (sportswashing). Même au niveau de la Coupe du monde, on a signalé des matchs truqués, qui menacent l’intégrité du sport.
L’augmentation de la traite et du trafic de jeunes footballeurs africains vers l’Europe via les pays d’Afrique du Nord est particulièrement préoccupante. Ces jeunes garçons, des adolescents pour la plupart, sont souvent soumis à des conditions inhumaines. Certains trouvent la mort en tentant de traverser la Méditerranée de manière clandestine.
Musa est l’un d’entre eux. Jeune joueur gambien en herbe, il se considère comme un « chasseur de rêves », et non comme un migrant économique qui tente de rejoindre l’Italie. Seule une poignée de jeunes footballeurs africains réussiront en Europe, mais des milliers d’entre eux rêvent de devenir les prochains Sadio Mané ou Mohamed Salah. Ces garçons, pour la plupart issus de familles pauvres, sont devenus la cible de l’un des réseaux de traite et de trafic d’êtres humains à la croissance la plus rapide.
De nombreux jeunes hommes d’Afrique subsaharienne sont attirés par l’Afrique du Nord, où les clubs de football sont considérés comme des tremplins vers les ligues européennes, plus lucratives et plus renommées. Les clubs nord-africains offrent également aux jeunes joueurs plus d’avantages financiers que ceux de leur pays d’origine. En effet, les salaires y sont généralement versés à temps, et leurs dirigeants ont la possibilité de « vendre » des joueurs à des clubs européens.
Le bon niveau du football pratiqué en Afrique du Nord permet aux jeunes d’améliorer leurs compétences. L’accès aux clubs est également facile. Les Ivoiriens, par exemple, peuvent se rendre au Maroc avec un visa de trois mois et commencer à jouer dans des équipes locales une fois sur place.
Grâce à ces incitations, de nombreux footballeurs sont prêts à se rendre en Afrique du Nord, qu’il s’agisse de leur destination finale ou d’un simple transit vers l’Europe, malgré les risques encourus. Mais la plupart d’entre eux se retrouvent bloqués, sans possibilité de rejoindre l’Europe légalement ni celle de rester en Afrique du Nord.
De jeunes hommes du Cameroun, du Ghana et du Nigeria paient des sommes allant de 1 000 à 1 500 euros à des criminels qui se font passer pour des agents ou des recruteurs, pour se rendre en Tunisie où on leur promet un contrat avec un grand club, comme l’Espérance sportive de Tunis. Une fois sur place, après des semaines d’attente, ils comprennent qu’il n’y a pas de contrat et que leur « agent » les a trompés. Pour survivre, ils sont obligés de prendre des emplois comme agent de nettoyage ou dans la restauration.
Un deuxième problème, plus grave, est l’expiration de leur visa, qui fait d’eux non plus des migrants du football mais des migrants illégaux. En Tunisie, les migrants ne peuvent pas quitter le territoire à moins de s’être acquittés d’une amende pour chaque jour passé dans le pays depuis l’expiration de leur visa. De nombreux jeunes footballeurs en herbe se retrouvent coincés là, sans argent pour acheter un billet de retour ou régler l’amende qui ne cesse d’augmenter. Au Maroc, ils deviennent des migrants illégaux à l’expiration de leur visa.
La traite commence lorsque des « agents » africains, qui font généralement partie d’un réseau qui a des relais en Europe, approchent les jeunes footballeurs dans des ligues locales, soit directement, soit par le biais des réseaux sociaux. Certains proposent à des mineurs des contrats dans des clubs européens fictifs, même s’il est illégal pour un mineur de rejoindre un club européen. Les agents bénéficient également de l’appui de fonctionnaires corrompus dans les ambassades européennes qui facilitent la procédure d’obtention de visas pour les aspirants footballeurs.
Certains jeunes chasseurs de rêves choisissent la voie de l’immigration clandestine après avoir lutté pour obtenir des visas pour les pays européens, dans l’espoir de participer aux sélections de football une fois arrivés en Europe. Amane a voyagé de la Côte d’Ivoire au Maroc en bus et a fini par arriver en Espagne illégalement en bateau. Une fois sur place, il s’est rendu compte que son supposé agent l’avait abandonné, sans aucune perspective de contrat ni de club.
Au Sénégal, les parents de Bouba ont payé plus de 5 000 euros à deux agents qui ont promis à leur fils un contrat au Portugal. Cependant, après y avoir séjourné un mois, Bouba n’avait toujours pas de club, vivait avec une personne âgée, et ses agents avaient disparu, le laissant sans argent.
Après un long voyage organisé par des passeurs violents qui l’ont emmené de Gambie au Mali, en Libye et en Italie, Musa a fini par signer avec Carbonia, une équipe semi-professionnelle de la ligue italienne. On est bien loin de la vie glamour de la star du football dont rêvent les jeunes athlètes.
Selon Mahfoud Amara, expert du sport nord-africain de l’université du Qatar, des milliers de jeunes diplômés en football venant des académies qui fleurissent dans toute l’Afrique se retrouvent perdus dans ce système complexe de migration du football. Les académies sont créées avec la promesse d’offrir des contrats professionnels à l’étranger.
Pour éviter que les joueurs ne soient dupés, il est nécessaire de mieux les éduquer et de les sensibiliser. Les réseaux sociaux, la télévision, les radios locales et les affiches dans les stades de football devraient dénoncer les risques liés à la signature de faux contrats avec des « agents » sans scrupules. Les fédérations africaines doivent faire preuve de plus de transparence lorsqu’elles recrutent de jeunes footballeurs. Dans un premier temps, elles devraient publier les noms des agents officiels afin que les parents et les jeunes hommes puissent vérifier l’authenticité de la proposition.
Il faut que la FIFA étende ses initiatives de développement du football en Afrique, de la construction de terrains à la formation de jeunes joueurs, tout en soutenant la création de parcours qui permettent aux footballeurs en herbe d’accéder aux ligues professionnelles. La condamnation de l’exploitation des jeunes Africains doit se matérialiser par des actions concrètes.
La FIFA devrait également définir des exigences de certification communes pour les agents de football et mettre en place une ligne d’assistance téléphonique pour signaler les agents peu scrupuleux ou les faux agents. Cela implique d’imposer aux clubs européens qu’ils publient leurs politiques de recrutement et vérifient les noms des agents officiels sur leurs sites internet.
Plus important encore, en tant qu’organisme mondial, la FIFA doit traduire ses propos en actes. Elle doit veiller à ce que les clubs africains reçoivent un véritable soutien financier et matériel pour dynamiser le football à domicile et retenir les jeunes joueurs talentueux.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, Observatoire régional du crime organisé en Afrique de l’Ouest (ENACT), ISS