25 Oct 2023

Arms trafficking / Le commerce des armes à feu artisanales au Ghana doit être régularisé

Les armes artisanales illégales représentent une menace qui pourrait être jugulée par la légalisation de leur fabrication et le contrôle de leur commerce.

Neuf dollars US suffisent à fabriquer une arme à feu artisanale au Ghana. Les armuriers produisent environ 200 000 armes illégales par an et les vendent entre 90 et 150 dollars. Ces armes sont largement utilisées par les criminels dans les cambriolages domestiques, par le banditisme, dans les trafics et les opérations de représailles.

La demande d’armes illicites est également alimentée par la multiplication de groupes ethniques de jeunes qui se forment pour protéger leurs communautés. Selon l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, en avril de cette année, 23 de ces groupes d’autodéfense opéraient à Bawku, dans le Nord-Est.

La multiplication des groupes ethniques d’autodéfense accroît la demande d’armes illicites

Malgré l’interdiction de la production d’armes, le Ghana possède l’un des réseaux les plus élaborés de production et de trafic d’armes artisanales de la région. Cette situation représente une menace sérieuse pour la sécurité nationale en encourageant la criminalité et en contribuant aux conflits régionaux.

Des points chauds pour la fabrication et le trafic d’armes artisanales au Ghana

Hotspots for manufacturing and trafficking of craft arms in Ghana

Source : ISS
(Cliquez sur l’image pour voir l'carte en taille réelle)

Plusieurs fabricants d’armes illégales opéreraient discrètement dans les territoires reculés du pays. Les zones sensibles ou de transit sont Bawku, Sabunjida Machele-ne dans la région Nord, Techiman dans la région Est de Bono, Alabar et Suame Magazine dans la région d’Ashanti, Elubo, Kasoa et Ashaiman dans les régions de l’Ouest, du Centre et de l’agglomération d’Accra.

Un analyste de la sécurité, sous couvert d’anonymat, a déclaré au projet ENACT sur la criminalité organisée, que les fabricants d’armes illicites sont généralement des forgerons dont le savoir-faire se transmet d’une génération à l’autre, ou parfois à des apprentis. Spécialisés dans la fabrication d’ustensiles de cuisine et d’ornements artisanaux, ils produisent également des armes, nettement plus lucratives.

Les forgerons fournissent des armes artisanales à des intermédiaires qui les revendent à des trafiquants. Ces derniers les acheminent clandestinement à travers la frontière et approvisionnent des réseaux de distribution bien établis. Au niveau local, les armes sont fournies aux criminels des régions proches de leur lieu de fabrication et aux trafiquants du Nigeria et de la Sierra Leone, qui ne craignent pas d’être poursuivis.

La Commission ghanéenne sur les armes légères a instauré un système de codage pour tracer les armes à feu

Kwesi Aning, professeur au Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix, a déclaré à ENACT que si les criminels ont accès à tout type d’armes, y compris celles qui s’apparentent à des armes militaires, c’est que le Ghana avait « créé un environnement favorable à l’acquisition des outils nécessaires à des attaques violentes, ainsi qu’à l’organisation de réseaux d’approvisionnement et de distribution ».

Le contrôle des armes au Ghana a peu progressé. Jusqu’en 2019, il n’existait aucun système d’identification des armes à feu détenues par les civils. Tout récemment, la Commission des armes légères a mis en place un système de codage pour distinguer clairement les armes des services de sécurité de celles des civils. Les données sur la propriété sont enregistrées dans une base nationale de données en développement.

Cet effort de codage s’aligne sur la convention de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest sur les armes légères et de petit calibre, qui demande aux pays membres de marquer les armes à feu pour en faciliter l’identification et la traçabilité.

Si la fabrication illégale est une préoccupation majeure pour la sécurité intérieure du Ghana, la menace s’étend au-delà de ses frontières. Les armes artisanales ghanéennes alimentent souvent les conflits dans les États voisins. Certains engins explosifs découverts entre autres au Mali et en Guinée ont été identifiés comme provenant du Ghana. De même, l’instabilité croissante du Burkina Faso voisin a créé un commerce illégal florissant d’armes artisanales.

Les armes artisanales alimentent les conflits dans les pays voisins, au Mali, en Guinée et au Burkina Faso

Outre le codage, plusieurs actions pourraient stopper cette économie illicite. Une base de données de tous les forgerons du Ghana permettrait d’identifier ceux qui se livrent à la fabrication artisanale d’armes à feu. Le gouvernement pourrait alors cartographier et surveiller leurs activités et celles des marchands d’armes à travers le pays.

Les autorités pourraient également exercer un contrôle plus strict en enregistrant les forgerons et leurs associations. Garantir la conformité de la fabrication de produits légaux, tels que les outils agricoles, protégerait les moyens de subsistance de ces artisans. Un représentant des forgerons a déclaré lors d’un atelier de la CEDEAO en 2023 à Accra qu’un « programme de moyens de subsistance alternatifs durables qui offre des avantages au moins équivalents à la fabrication d’armes » était essentiel pour contrôler la fabrication et le trafic d’armes à feu artisanales.

Une approche plus intéressante serait de réglementer l’industrie des armes artisanales afin que les forgerons opèrent légalement et que l’État puisse facilement en contrôler le commerce. Un mécanisme offrant aux forgerons l’opportunité de régulariser leurs activités, par exemple, au travers d’une période de moratoire limitée contre les poursuites judiciaires et le respect de certaines exigences, pourrait les inciter à s’enregistrer et renforcerait le contrôle de la production d’armes artisanales.

Il est également essentiel de reconnaître l’implication probable des fonctionnaires dans la facilitation du commerce illégal, en particulier aux frontières. Il est impératif d’enquêter sur les cas de corruption afin de rompre la chaîne de trafic et décourager les fonctionnaires en poursuivant les responsables.

Ces mesures contribueront de manière significative à l’objectif ambitieux, mais crucial, de l’Union africaine de Faire taire les armes en Afrique d’ici 2030.

Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, ENACT, ISS, et Solomon Okai, chargé de programme principal, Fondation pour la sécurité et le développement en Afrique

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