05 Aug 2025

Arms trafficking / Le conflit en RDC alimente la contrebande dans le bassin du lac Tanganyika

La forte circulation d’armes illégales à travers les frontières du pays aggrave l’insécurité dans toute la région.

En mars 2025, l’armée congolaise et ses forces alliées ont frappé l’aérodrome de Minembwe et neutralisé des avions utilisés pour le ravitaillement en munitions et équipements militaires des Twirwaneho et des Red Tabara entre Bukavu et Minembwe. Il s’agit de deux des nombreux groupes rebelles opérant à l’intérieur et à partir de la République démocratique du Congo (RDC).

En raison des conflits en cours, des activités des groupes armés et rebelles, ainsi que de l’implication de certains agents publics, une multitude d’armes illégales circule dans l’est de la RDC. La prolifération des armes légères et de petit calibre dans cette région a commencé au milieu des années 1990, lorsqu’elles ont été introduites clandestinement depuis l’Ouganda et le Rwanda pour soutenir les rébellions contre Kinshasa pendant les deux guerres du Congo.

Ce phénomène a suscité des violences d’une intensité sans précédent, provoquant la mort de 12 millions de Congolais au cours des 30 dernières années. Divers groupes armés, dont le M23, continuent de se livrer à ces tueries.

L’incursion du M23 à Bunagana via Ntamugenga en 2022, ainsi que la prise de Goma et Bukavu et l’avancée vers Uvira début 2025, ont contribué à accroître la circulation d’armes dans la région du lac Tanganyika.

Les AK-47, qui se vendent parfois « pour à peine 30 dollars », sont les armes les plus répandues en RDC

La situation actuelle résulte de trois facteurs principaux. D’abord, les soldats des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont abandonné une partie de leurs armes et équipements lors de leur retraite face à l’avancée du M23.

Ensuite, la coalition rebelle Wazalendo et des jeunes locaux, déterminés à freiner le M23, ont désarmé de force des soldats des FARDC en désertion, alors que ceux-ci fuyaient Kalemie à bord d’embarcations réquisitionnées pour traverser le lac Tanganyika. Le gouvernement congolais a par ailleurs fourni des armes et des munitions aux Wazalendo et à d’autres groupes d’autodéfense, tels que les Fuliru et les Bembe, en raison de leur capacité avérée à contrer les avancées du M23.

Enfin, certains groupes armés de la région du Tanganyika, comme les Maï-Maï Yakutumba et les Maï-Maï Makanaki, participent activement à des activités criminelles organisées, notamment la collecte illégale d’impôts, le contrôle des mines artisanales, la contrebande de minerais et la piraterie. Les armes jouent un rôle crucial dans les activités de ces deux grands groupes rebelles, basés respectivement dans la province du Tanganyika et dans le Sud-Kivu méridional.

Les AK-47 sont les armes les plus répandues en RDC. Justin Muhindo, militant du mouvement de la société civile « Lutte pour le changement », a déclaré à ENACT que dans certains quartiers de Sake, les fusils AK-47 se vendaient « pour à peine 30 dollars US ».

La contrebande est alimentée par un mouvement complexe d’armes entrant et sortant du pays. Selon Justin Muhindo, l’actuel flux d’armes illicites vers la RDC passe par le Rwanda sous l’égide du M23. Un officier militaire, souhaitant rester anonyme, a confié à ENACT que le M23 proposait jusqu’à 500 000 dollars US pour que des stocks d’armes leur soient livrés clandestinement ou déposés dans des lieux stratégiques en vue de leur récupération. Ils utilisent également des combattants déguisés en civil ou des sympathisants pour acheminer les armes vers les territoires dont ils veulent s’emparer.

Les acteurs du trafic d’armes sont des groupes rebelles, des agents de l’État, des membres des forces de sécurité et des civils

Un homme d’affaires basé à Goma a déclaré à ENACT que, dans le Nord-Kivu, des armes étaient introduites clandestinement depuis Ntamugenga, puis transportées vers Masisi et Goma à moto, en camion ou en tshukudu (bicyclette en bois), dissimulées dans des cargaisons de charbon de bois, de bois de chauffage, de céréales, de fourrage et d’autres produits agricoles. Les motos sont le moyen de transport privilégié. Elles permettent aux contrebandiers de suivre des chemins secrets à travers la brousse et d’éviter ainsi les barrages routiers et les postes de contrôle du gouvernement.

Une fois à Masisi, les armes sont stockées dans des dépôts stratégiques. L’un d’eux a été découvert dans la ferme d’Édouard Mwangachuchu, ancien député de Masisi, de « possession d’armes et de munitions de guerre » et de « participation à un mouvement insurrectionnel » pour son soutien au M23.

Au Sud-Kivu, des armes sont introduites clandestinement par voie aérienne depuis Bukavu ou d’autres pistes d’atterrissage jusqu’à Minembwe, ou encore par le lac Kivu.

Les acteurs du trafic d’armes sont des groupes rebelles, des agents de l’État, des membres des forces de sécurité et des civils. Un haut gradé militaire a expliqué à ENACT que le M23 et d’autres groupes rebelles se procuraient fréquemment leurs armes auprès d’officiers corrompus ou dévoyés des FARDC. L’indiscipline et les faibles rémunérations au sein des FARDC, associées à une gestion déficiente de l’inventaire des armements, ont fait du trafic d’armes une source de revenus lucrative pour les soldats corrompus.

Un agent de police congolais a déclaré à ENACT qu’« après trois mois sans salaire, des soldats dévoyés vendaient leurs armes pour subvenir à leurs besoins fondamentaux. Chaque arme se négociait entre 50 et 80 dollars US. » Les entretiens avec des officiers des FARDC montrent que d’autres soldats impliqués étaient des recrues issues du processus de « brassage et mixage » (2004‑2010), qui a intégré des rebelles prorwandais dans les FARDC.

Les conséquences néfastes de cette contrebande exigent une réponse multinationale

De plus, certains Casques bleus de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) auraient été arrêtés pour contrebande d’uniformes militaires, tandis que le contingent ukrainien a également été impliqué dans le trafic d’armes de Gisenyi au Rwanda vers Goma. Un haut gradé militaire, sous couvert d’anonymat, a expliqué que l’immunité diplomatique accordée au personnel et aux cargaisons des Nations Unies facilitait le passage d’armes de contrebande. Une fois à Goma, les armes seraient ensuite transportées par avion vers les territoires contrôlés par le M23, tels que Rubaya, en échange d’or et de coltan.

Des informateurs clés dans le bassin du lac Tanganyika ont indiqué à ENACT que le trafic d’armes de la RDC vers la Tanzanie, via le lac, était également fréquent. Attirées par le marché des armes illégales en Tanzanie, des organisations criminelles font transiter armes et munitions à travers le lac pour les écouler sur le marché noir.

Les conséquences néfastes de cette contrebande sont immenses et accentuent l’instabilité dans toute la région. Un seul pays ne peut y remédier seul : il faut une réponse multinationale. Toute approche réfléchie du devoir de protection des citoyens semble cruellement manquer dans cette lutte qui s’éternise depuis des décennies pour le contrôle du territoire et des ressources. Une analyse approfondie des conséquences du trafic d’armes sur les communautés du bassin du lac Tanganyika constitue une première étape essentielle pour les décideurs et acteurs de la sécurité désireux de rompre définitivement le cycle entre conflit et paix précaire.

Mugah Michael Sitawa, chercheur, Institut d’études de sécurité, Nairobi

Image : Daniel Buuma/Getty Images

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