13 Dec 2023

Drug trafficking / La pauvreté et le COVID-19 ont ouvert la porte à la poufa au Maroc

Le pays est confronté à une nouvelle drogue qui menace la santé des jeunes et des plus pauvres : la poufa.

À 26 ans, Hamza est devenu dépendant de la poufa dès la première prise. Très vite, il commence à dépenser tout son argent dans cette drogue et vole sa famille pour financer son addiction. Il finit par perdre son emploi, sa fiancée le quitte. Aujourd’hui sans domicile fixe, il passe ses journées à attendre la prochaine dose.

La poufa, également appelée l’poufa, l’boufa, sisa ou « cocaïne des pauvres », est une drogue de synthèse aux effets dévastateurs fabriquée à partir de déchets de cocaïne ou de méthamphétamine coupés avec des additifs tels que de l’acide de batterie, de l’huile de moteur, du shampoing, du sel, du bicarbonate de soude ou de l’ammoniaque. Bon marché et facile d’accès, elle est hautement addictive. Comme le crack, la poufa se fume à l’aide d’une pipe à eau artisanale. En octobre 2023, un homme de 25 ans est décédé d’une overdose après avoir consommé de la poufa au cours d’une soirée.

112 trafiquants de poufa ont été arrêtés et près de 1,5 kg de drogue a été saisi entre le 4 août et le 2 septembre

La poufa crée très rapidement une forte dépendance : une à trois doses suffisent pour rendre « accro ». Ses effets dévastateurs incluent de graves dommages physiques et psychologiques qui peuvent entrainer des comportements agressifs et violents. Sa consommation est associée à la schizophrénie, à la paranoïa et à la dépression. Elle entraîne des infections cutanées, des ulcères, des maladies cardiovasculaires, des problèmes rénaux, de la fièvre, de violents maux de tête, des insomnies, des convulsions, de l’arythmie avec un risque d’AVC, d’infarctus et de détresse pulmonaire.

La poufa, « cocaïne des pauvres »

Pufa, or ‘cocaine for the poor’

Source : Middle East Eye

Cette méthamphétamine de fabrication artisanale a fait son apparition aux États-Unis dans les années 1980. Elle s’est répandue dans plusieurs pays européens au cours des années 1990 et porte de nombreux noms : « crocodile » en Russie, 3-MMC en France. Sa consommation s’est popularisée en Grèce, où elle est appelée « sisa » et prise pour faire face à la crise économique interne des années 2000, ce qui lui a valu le surnom de « drogue de l’austérité ».

Les circonstances dans lesquelles la poufa est arrivée au Maroc restent floues. Pour certains, elle serait apparue à Tanger au milieu des années 2010 sous le nom de « Lbasé » par l’intermédiaire de personnes venues du nord du pays pour se faire soigner dans des centres de désintoxication à Casablanca. Pour d’autres, la poufa a été introduite dans les zones défavorisées par des dealers qui mélangeaient des résidus de cocaïne ou de méthamphétamine avec d’autres produits chimiques pour augmenter leurs stocks de drogue. Beaucoup de dealers de poufa sont d’anciens vendeurs de cocaïne reconvertis.

On note toutefois des similitudes entre les contextes en Grèce et au Maroc. En Grèce, la consommation de poufa s’est développée avec la crise économique des années 2000. Au Maroc, l’essor de cette drogue a coïncidé avec le COVID-19. Avant la pandémie, la cocaïne était moins facile d’accès et sa consommation était réservée à ceux qui pouvaient se l’offrir. Pendant la pandémie, les dealers mélangeaient des déchets de cocaïne à d’autres produits. Le résultat, moins cher, est devenu accessible à un plus grand nombre de personnes.

Renforcer la prévention, la sensibilisation et l’aide aux toxicomanes peut contribuer à endiguer cette menace

Les admissions dans les centres de désintoxication sont nombreuses depuis l’épidémie de COVID-19. Ainsi, plus de 3 000 personnes dépendantes sont actuellement recensées dans les établissements du nord du Maroc.

La poufa provoque des ulcères, des plaies superficielles et des infections cutanées

Pufa causes ulcers, superficial skin wounds and skin infections

Source : Journal of Drug Abuse

Contrairement à la cocaïne, qui est importée d’Amérique latine, la poufa est fabriquée localement. Certains consommateurs l’achètent directement auprès des dealers sous forme de « caillou » composé de différents produits chimiques. D’autres la fabriquent eux-mêmes, ce qui est relativement facile.

En raison de son faible prix, 0,50 dollar US (50 dirhams) le gramme, la poufa est facile d’accès au Maroc. Elle est très répandue parmi les jeunes, notamment les collégiens, et touche progressivement les personnes pauvres. Du fait de son caractère hautement addictif, de plus en plus de jeunes filles s’adonnent au commerce du sexe pour payer leur dose quotidienne. Certains consommateurs vendent leur voiture pour financer leur addiction.

Entre le 4 août et le 2 septembre, 112 trafiquants de poufa ont été arrêtés dans différentes villes marocaines et près de 1,5 kg de drogue a été saisi. Cette intervention des forces de l’ordre a également permis de démanteler six réseaux criminels de drogue à travers le pays. 15 personnes ont été arrêtées à Casablanca en juillet. Dans leur repaire, la police a trouvé le matériel et les ingrédients nécessaires pour fabriquer de la poufa. Durant l’année scolaire 2022-23, des opérations de sécurité menées dans différents établissements d’enseignement ont permis d’enquêter sur 3 870 affaires et d’interpeler 4 286 suspects pour trafic de poufa.

En octobre, les forces de sécurité marocaines ont intercepté 1 371 kg de cocaïne en provenance d’Espagne. Même si toute la marchandise n’était pas forcément destinée au marché local, cette saisie soulève des questions sur le rôle croissant du Maroc comme plaque tournante du trafic de cocaïne dans la région. Plus la cocaïne circule au Maroc, plus il est facile pour les trafiquants et les dealers de fabriquer et de distribuer de la poufa, ce qui empire la situation.

Les communautés pourraient nouer des relations avec les toxicomanes pour qu’ils acceptent une prise en charge

Malgré ces saisies et le nombre d’affaires traitées, les autorités ont encore beaucoup à faire pour éradiquer le problème. En l’absence de mesures rapides et efficaces, les pouvoirs publics pourraient bientôt faire face à une crise sanitaire dramatique et à une hausse du nombre d’incidents et d’actes violents et criminels liés à cette drogue.

À l’heure actuelle, les consommateurs et les trafiquants de petit à moyen calibre encourent six mois à un an de détention, tandis que les gros trafiquants s’exposent en théorie à une sentence allant jusqu’à 30 ans d’emprisonnement. En règle générale, cependant, la peine maximale est de 10 ans.

Un renforcement du cadre juridique et institutionnel pour dissuader plus efficacement les trafiquants de drogue faciliterait la lutte contre le trafic de poufa. Prononcer des sanctions plus sévères pour les trafiquants, en particulier ceux engagés dans le trafic de cocaïne ou ceux dont la responsabilité (indirecte) dans la mort d’un consommateur a été démontrée, pourrait constituer un premier pas important.

Sur le plan sanitaire, le renforcement de la prévention, de la sensibilisation et des systèmes d’aide aux toxicomanes pourrait également contribuer à endiguer cette menace en pleine expansion au Maroc. Les politiques autorisant l’utilisation de la naloxone et de la méthadone sont essentielles pour prévenir et prendre en charge les overdoses, ainsi que pour traiter les troubles liés à la consommation de drogue. En plaçant ces mesures en tête des priorités, les organisations non gouvernementales, en collaboration avec le ministère de la Santé, ont déjà pu réduire le nombre de décès par overdose.

Le Maroc pourrait également, à l’instar de la Grèce, former les communautés, les familles et le cercle amical à établir des relations de confiance avec les toxicomanes afin de les convaincre d’accepter un traitement de leur dépendance.

Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, ENACT, Afrique de l’Ouest

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