26 Jul 2023

Arms trafficking / Pourquoi les criminels nigérians recrutent des femmes pour le trafic d’armes

Des groupes criminels utilisent des femmes pour le trafic d’armes dans le nord-ouest du Nigeria en s’inspirant des stratégies de Boko Haram.

Les femmes sont de plus en plus impliquées dans le trafic d’armes lié au banditisme dans le nord-ouest du Nigeria. Entre décembre 2022 et février 2023, la police a arrêté plusieurs trafiquantes d’armes dans l’État de Zamfara, au Nigeria, qui auraient fourni armes et munitions à des bandits.

Le banditisme est un ensemble d’actes criminels qui comprend le vol à main armée, l’enlèvement, le meurtre, le viol et la possession illégale d’armes à feu. C’est le problème de sécurité le plus important au Nigeria.

Plusieurs faits reportés concernant des mouvements et des ventes d’armes illégales dans le nord-ouest du Nigeria au cours des trois dernières années impliquent des femmes. En octobre 2021, une femme de 30 ans spécialisée dans la fourniture d’armes à des bandits dans les États de Zamfara, Sokoto, Kebbi, Kaduna, Katsina et Niger a été arrêtée avec 991 cartouches de kalachnikov. Elle opérait depuis le village de Dabagi, dans l’État de Sokoto, pour un célèbre chef de bande qui terrorisait l’État de Zamfara et les États voisins.

Selon l’ACLED, les attaques de bandits dans le nord-ouest du Nigeria ont augmenté de 731 % entre 2018 et 2022

En mars 2022, la police nigériane a arrêté une femme de 38 ans dans le cadre d’un trafic d’armes et de munitions entre l’État du Plateau et divers camps de bandits à Kaduna, Katsina et Zamfara. Huit fusils de type AK de fabrication locale, des mitraillettes et 400 cartouches de kalachnikov ont été récupérés. 

États du Nigeria touchés par le banditisme

States in Nigeria where bandits are active

Source : ISS
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On estime qu’il y a 30 000 bandits répartis en groupes de 10 à plus de 1 000 individus dans le nord-ouest du Nigeria. Selon le projet Armed Conflict Location & Event Data (ACLED), les attaques de ces groupes ont augmenté de 731 % entre 2018 et 2022, passant de 124 à 1 031 incidents. On dénombre 13 485 décès liés au banditisme entre 2010 et mai 2023. Les données de l’ACLED reposant sur des sources locales ou provenant des médias, de nombreux incidents peuvent ne pas avoir été signalés.

Le banditisme sévit dans les États de Kaduna, Katsina, Kebbi, Niger, Sokoto et Zamfara et s’étend rapidement à certaines parties du centre-nord du Nigeria et du sud-ouest du Niger. Le nord-ouest du Nigeria est une région vulnérable aux attaques. Ceci est dû notamment à une mauvaise gestion des ressources sécuritaires, aux conflits entre éleveurs et agriculteurs, à l’exploitation illégale des mines d’or, au déclin des moyens de subsistance en milieu rural, à une mauvaise gestion des frontières externes du Nigeria, à une application déficiente de la loi et à l’échec des services de renseignements en matière de sécurité.

Les représentants de l’État affirment que les principaux facteurs qui favorisent le banditisme sont la porosité des frontières et le trafic d’armes. En 2019, le ministre nigérian de l’Information, Lai Mohammed, avait déjà déclaré que 95 % des armes utilisées pour le terrorisme et les enlèvements étaient acheminées depuis la Libye et d’autres États d’Afrique subsaharienne déchirés par la guerre.

Selon Umaima Abdurrahman, militante pour l’égalité des sexes dans l’État de Kaduna, l’augmentation récente de l’implication des femmes dans le trafic d’armes doit être appréhendée dans le contexte de la récession économique du nord-ouest du Nigeria, qui touche les femmes de manière démesurée. Elle a expliqué au projet ENACT que la pauvreté est un facteur important qui pousse les femmes à s’adonner à des activités criminelles telles que la drogue et le trafic d’armes.

La pauvreté pousse les femmes à s’adonner à des activités criminelles

L’Indice mondial de pauvreté multidimensionnelle (IPM) montre que 80 % des habitants du nord-ouest du Nigeria sont pauvres. Bien que l’IPM ne ventile pas les données par sexe, on sait que les femmes sont les principales victimes de la pauvreté au Nigeria. La plupart des femmes du nord rural dépendent de l’agriculture de subsistance pour l’alimentation et leurs revenus, et constituent la majorité des personnes en situation de pauvreté dans les communautés rurales.

Les contraintes d’accès au crédit limitent également le potentiel économique des femmes dans le nord-ouest. Environ 70 % d’entre elles sont susceptibles d’être exclues de l’accès aux services financiers et à l’économie formelle. La pauvreté des femmes s’explique également par le faible taux de scolarisation des filles. En effet, seules 47 % d’entre elles reçoivent une éducation primaire dans cette région.

Les femmes ont des moyens de subsistance limités, reçoivent des salaires inférieurs — voire pas de salaire du tout — et sont souvent piégées dans des cycles de pauvreté intergénérationnels. Selon Abdurrahman, les bandits en profitent pour les inciter à participer au trafic d’armes pour l’argent ou en échange d’autres matériaux de valeur.

Selon Larai Garba Talbu, journaliste dans l’État de Sokoto, le banditisme est dominé par les hommes, et les quelques femmes impliquées sont le plus souvent des amies ou des complices des criminels avec lesquelles ils peuvent partager le montant des rançons.

Dans le crime organisé, les femmes sont rarement considérées comme cheffes, trafiquantes ou recruteuses

Les bandits du nord-est du Nigeria utilisent les femmes en copiant les méthodes de Boko Haram. Lorsque la police et les soldats découvrent des opérations et des routes de contrebande, les terroristes recrutent des femmes comme passeuses d’armes, car elles risquent moins d’éveiller les soupçons. Les femmes cachent des fusils AK-47 sous leur voile ou dissimulent des engins explosifs improvisés sur leur dos comme s’il s’agissait de bébés.

Les services de sécurité pourraient s’attaquer à l’implication croissante des femmes dans le trafic d’armes grâce à la collecte de renseignements stratégiques. Les femmes sont rarement perçues comme étant impliquées dans la criminalité organisée, notamment en tant que dirigeantes, trafiquantes ou recruteuses, elles ont donc plus de chances de passer inaperçues aux yeux des services de police. Les groupes criminels exploitent cette lacune dans les renseignements et les enquêtes de la police.

Dans son discours d’investiture du 29 mai, le président Bola Ahmed Tinubu a déclaré que la sécurité serait sa priorité absolue. Il a promis d’investir davantage dans le personnel de sécurité en améliorant la formation, l’équipement, la rémunération et la puissance de feu. Si ces promesses sont louables, la dynamique de l’insécurité évolue rapidement et la prise en compte des dimensions sexospécifiques du banditisme nécessite une approche globale.

Il faut recruter des femmes dans les services de sécurité et dans les forces de l’ordre, mais aussi les former et les doter de ressources afin de faciliter la collecte de renseignements au sein des communautés locales. Ces agentes devraient fouiller les femmes aux points de contrôle et dialoguer avec les personnes arrêtées pour comprendre leur implication dans la criminalité organisée.

Les groupes de la société civile et les dirigeants communautaires devraient sensibiliser les femmes des communautés touchées aux préjudices personnels et généralisés qu’elles encourent en s’associant avec des bandits et des trafiquants d’armes.

Cependant, le plus important est de s’attaquer aux disparités entre les sexes en matière d’éducation et d’impact de la pauvreté, car ce sont ces disparités qui rendent les femmes plus vulnérables au recrutement par les groupes armés nigérians.

Oluwole Ojewale, coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé d’ENACT pour l’Afrique centrale, ISS, et Mahmud Malami Sadiq, chercheur indépendant, Sokoto, Nigeria

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