14 Feb 2025

Arms trafficking / Le trafic d’armes menace un sanctuaire d’espèces sauvages en Afrique de l’Ouest

Avec ses frontières poreuses et ses écosystèmes vulnérables, le complexe W-Arly-Pendjari est un immense territoire de lutte.

Le complexe W-Arly-Pendjari (WAP) est une vaste réserve naturelle située aux confins du Bénin, du Burkina Faso et du Niger. Doté de l’un des écosystèmes les plus diversifiés de la ceinture de savane d’Afrique de l’Ouest, il est classé au patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et abrite des espèces menacées telles que le guépard, la girafe, le lycaon, l’éléphant, le lion et le léopard.

Cependant, les millions d’hectares de paysages isolés du WAP servent également de plaque tournante pour la criminalité transnationale organisée, notamment le trafic d’armes, de stupéfiants et d’êtres humains.

La contrebande d’armes est l’activité illicite la plus répandue dans le WAP, indique Juliana Abena Appiah du Legon Centre for International Affairs and Diplomacy de l’Université du Ghana. Ces différents trafics, essentiellement menés par des groupes armés et facilités par un terrain accidenté et des frontières poreuses, renforcent aussi l’instabilité et les heurts en dehors du parc.

L’afflux d’armes et de munitions dans la région favorise le terrorisme, le braconnage, le banditisme et les violences intercommunautaires, entretenant une spirale d’insécurité et de délinquance. Le trafic d’armes est également lié aux conflits dans le Sahel, qui, selon Hassane Koné, chercheur principal au sein du programme Sahel de l’Institut d’études de sécurité, sont alimentés par les tensions ethniques, les insurrections djihadistes et la criminalité.

Les principaux acteurs du trafic d’armes dans la région sont les groupes extrémistes, explique Hassane Koné. Il s’agit de Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, de l’État islamique dans le Grand Sahara, d’Ansaroul Islam, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et de l’État islamique au Sahel. Les armes qui circulent illégalement sont notamment des fusils d’assaut, des mitrailleuses légères et des pistolets, les groupes armés privilégiant le AK-47 pour sa puissance de feu et sa portabilité.

Le complexe W-Arly-Pendjari possède l’un des écosystèmes les plus diversifiés d’Afrique de l’Ouest

Fidel Amakye Owusu, analyste en sécurité au Conflict Research Consortium for Africa, raconte que les réseaux criminels locaux vendent au plus offrant et transportent d’importantes quantités d’armes sur les chemins de brousse, à moto ou à l’aide de bêtes. D’anciens adhérents et des membres actuels de ces groupes, des transporteurs professionnels et des agents corrompus des forces de sécurité utilisent leur connaissance du terrain accidenté de la région pour pratiquer ce trafic.

Les armes entrent sur le marché illicite du WAP par différents canaux. Selon Juliana Abena Appiah, la plupart d’entre elles proviennent de stocks gouvernementaux et d’entrepôts mal surveillés. Le Bénin est à la fois un pays de destination et de transit. Le Niger sert de voie de passage pour les armes transitant de la Libye vers le Mali.

Les gouvernements locaux se sont engagés à mettre un terme à la circulation d’armes. estime toutefois que les efforts déployés pour gérer les stocks, faire appliquer les lois et contrôler les transferts d’armes restent insuffisants.

Jusqu’ici, les mesures prises par les autorités pour faire face au trafic d’armes dans le WAP ont surtout été d’ordre militaire. En 2014, l’Union africaine a autorisé la création d’une Force multinationale mixte (FMM) composée de contingents du Bénin, du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigéria afin de lutter contre la criminalité transfrontalière exacerbée par le trafic d’armes et de créer un environnement sûr dans les zones touchées par le terrorisme.

Le Niger s’est retiré de la FMM après le coup d’État de juillet 2023, ce qui, selon Fidel Amakye Owusu, a accru l’afflux d’armes vers le Sahel via le WAP.

L’isolement et la pauvreté généralisée font du parc une base idéale pour les organisations criminelles

Si la FMM reste modérément active, l’appui international a choisi une autre voie. En février 2017, la France, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont lancé la Force conjointe du G5 Sahel avec le soutien de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) afin de lutter contre les insurrections et les trafics d’armes au Sahel, y compris dans le WAP.

Cependant, les accusations de domination française ont entraîné la suspension de la force après le retrait du Mali en mai 2022, puis du Niger et du Burkina Faso en décembre 2023. Le Tchad et la Mauritanie ont annoncé la fin de l’alliance le 6 décembre 2023.

En avril 2023, avec l’appui politique de la CEDEAO, les Nations Unies ont déployé la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), dirigée par la Task Force Takuba sous commandement français. La sécurité dans le WAP et au Sahel ne s’est pas améliorée pour autant.

L’assistance apportée par les États-Unis à la FMM et au G5 Sahel n’a pas été concluante non plus, les manifestations antioccidentales et les conflits insolubles dans la région ayant contraint les pays occidentaux à se retirer du Sahel. Le Mali s’est ensuite tourné vers le groupe russe Wagner pour obtenir un appui dans sa lutte contre l’extrémisme et l’insécurité. Mais cela n’a pas empêché les armes de transiter par le WAP, explique Edmund Foley, directeur du département de droit public de l’Institut ghanéen de gestion et d’administration publique.

En septembre 2023, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont signé la Charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des États du Sahel. Cette démarche visait notamment à combler le vide laissé par le G5 et à se prémunir contre une éventuelle intervention de la CEDEAO après le coup d’État de juillet 2023 au Niger et la dissolution du G5. Les trois États se sont retirés de la CEDEAO en janvier 2024.

Les mesures pour lutter contre le trafic d’armes dans le WAP sont surtout d’ordre militaire

La lutte contre le trafic d’armes et l’insécurité dans le WAP et au Sahel a également donné naissance en 2017 à l’initiative d’Accra, qui favorise les opérations militaires conjointes et l’échange de renseignements entre le Burkina Faso, le Niger, le Mali et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. En 2022, l’initiative d’Accra a proposé la création d’une Force multinationale mixte composée de 10 000 agents du Bénin, du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, du Ghana, du Niger et du Togo. Pour éviter l’échec de cette entreprise, il faut un financement solide.

En mars 2024, une délégation de l’initiative d’Accra s’est rendue à Maiduguri dans le nord du Nigéria, une région frappée de plein fouet par l’extrémisme violent. L’objectif était d’étudier le modèle de Borno, un programme de réconciliation post-conflit qui accorde une amnistie rapide aux membres de Boko Haram acceptant de se rendre à l’armée. Edmund Foley s’interroge toutefois sur l’applicabilité de ce dispositif face au caractère très lucratif des trafics menés dans le WAP.

Malgré les liens évidents entre les trafiquants d’armes, la criminalité organisée, les groupes djihadistes et les insurgés, les initiatives portant spécifiquement sur le trafic d’armes restent limitées dans le WAP. Les acteurs régionaux et internationaux, tels que la CEDEAO et l’Union européenne, ont privilégié les réponses axées sur la sécurité, sans grand succès.

Le renforcement de la coopération régionale, l’échange de renseignements, les patrouilles frontalières et les fouilles ciblées pourraient aider à endiguer la circulation d’armes illicites dans le WAP. Cependant, les mesures de sécurité ne devraient constituer qu’un volet d’une réponse plus large visant à s’attaquer aux moteurs de l’offre et de la demande d’armes illicites.  

S’il est essentiel de remédier aux vulnérabilités sociales et économiques, de soutenir la médiation communautaire et de promouvoir la bonne gouvernance, des programmes tels que le Projet pour la résilience au Sahel constituent un pas supplémentaire. Cette initiative ambitieuse vise à relever concrètement des défis interconnectés tels que le chômage des jeunes, l’insécurité alimentaire et les effets du changement climatique, qui contribuent tous à créer des conditions propices à l’insécurité.

Le projet se heurte toutefois à d’importantes difficultés qui nuisent à sa bonne exécution : lenteur du décaissement des fonds, problèmes de coordination entre les partenaires de mise en œuvre, menaces permanentes à la sécurité. Il sera essentiel de surmonter ces obstacles pour renforcer efficacement la résilience et favoriser la paix et la stabilité à long terme dans la région du WAP.

Feyi Ogunade, coordonnateur de l’Observatoire régional du crime organisé, Afrique de l’Ouest, ENACT, ISS

Image : PIUS UTOMI EKPEI / AFP

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