Les arnaques à la Ponzi ont fait perdre plus d’un milliard de dollars (500 milliards de nairas) aux Nigérians au cours de la dernière décennie. Le programme le plus tristement célèbre d’Afrique, MMM, a connu la participation de plus de trois millions de Nigérians, qui ont collectivement perdu environ 50 millions de dollars américains (18 milliards de nairas) lorsqu’il s’est effondré en décembre 2016. MBA Forex, une entreprise locale qui promettait des retours sur investissement de 15 %, a extorqué aux Nigérians environ 500 millions de dollars américains (213 milliards de nairas) lorsqu’elle a fermé ses portes en 2021. Ce montant représente près de 50 % du total des fonds perdus dans des arnaques à la Ponzi au Nigeria en 10 ans.
La Securities and Exchange Commission of Nigeria (SEC) révèle que plus de 70 % des affaires qu’elle traite sont liées à des combines à la Ponzi. Les difficultés économiques, la recherche de gain facile et le manque de culture financière sont autant de raisons qui contribuent à la recrudescence de ces activités. Des lois défaillantes et des mécanismes d’application médiocres exposent en outre les Nigérians à diverses formes d’escroquerie qui érodent la confiance des investisseurs locaux et étrangers.
Certes, MMM n’est pas la première combine à la Ponzi au Nigeria, mais elle a mis en évidence les lacunes du marché de l’investissement nigérian et a ouvert la voie à une multitude de systèmes similaires de dons de pair à pair. L’on peut notamment citer Loom Money, Twinkas et d’autres encore. La plupart de ces initiatives ont vu le jour en dehors du Nigeria, mais ont bénéficié du soutien d’acteurs locaux. Loom Money était connu à l’échelle mondiale sous des noms tels que « Loom Circle » et « Blessing Loom ». Au Nigeria, Loom Money opérait via Facebook et WhatsApp en 2019, promettant des retours sur investissement à hauteur de 800 % en 48 heures. Il s’est effondré la même année.
Au fil du temps, d’autres systèmes nationaux ont vu le jour, tels que Racksterli, Wales Kingdom Capital Limited, Quintessential Investment Company et No Burn Global Limited. Contrairement aux systèmes de « pair à pair », les investissements étaient effectués directement auprès des entreprises, ce qui permettait de doubler l’argent (sans domaines d’investissement tangibles) et d’obtenir des bénéfices élevés en quelques jours. No Burn Global Limited proposait jusqu’à 50 % de retour sur investissement en sept jours. Des personnalités publiques connues ont fait la promotion de Racksterli, qui promettait de doubler les investissements en moins de 45 minutes.
Les victimes des systèmes de « pair à pair » et de ces sociétés d’investissement douteuses sont des travailleurs ordinaires, des écoliers et des diplômés, désireux pour la plupart d’améliorer leurs conditions de vie. En 2017, quelque 4 000 étudiants ont failli être exclus pour avoir investi leurs frais de scolarité, d’environ 6,5 millions de dollars américains, dans un système de Ponzi en ligne.
Ces combines ont attiré l’attention des autorités nationales, avec comme conséquences l’adoption par la SEC de nouvelles lignes directrices (2017-19) portant sur les arnaques à la Ponzi, et quelques arrestations. Cependant, les arnaqueurs savent exploiter les lacunes de la réglementation et les vulnérabilités locales.
Depuis cinq ans, les combines à la Ponzi offrent des retours sur investissement plus réalistes de l’ordre de 15 à 50 % sur une base mensuelle et annuelle. Les programmes les plus récents prétendaient aussi proposer des investissements apparemment réels dans des domaines tels que les services logistiques, l’agriculture, le commerce de devises et les opérations de cryptomonnaies. MBA Forex, programme opérationnel de 2018 à 2021, a attiré des investisseurs fortunés désireux d’investir un minimum de 1 000 dollars américains dans des opérations de change.
Mais les programmes nationaux qui ont touché le plus de Nigérians entre 2019 et 2021 sont les investissements dits de crowdfunding agricole. Le terme « crowdfunding », souvent associé à la collecte de fonds auprès du grand public sans obligation de remboursement, servait à dissimuler des intentions frauduleuses. Ces programmes offraient des taux d’intérêt attrayants de 15 à 50 % sur trois mois ou sur un an.
Le montant minimum d’investissement de 13 dollars américains (environ 5 000 nairas en 2020) était notamment alloué à des produits agricoles comme le riz, le maïs, l’igname et la volaille. Des personnes instruites ont été séduites par l’idée de contribuer à la sécurité alimentaire nationale et de diversifier l’économie du Nigeria, tributaire depuis longtemps des recettes du pétrole brut. Les escrocs ont également exploité les avancées technologiques, en particulier la croissance des fintechs, qui permettent de brouiller l’origine et la destination des transactions.
En janvier 2021, alors que certains programmes agricoles ont commencé à manquer à leurs obligations de paiement, la SEC a publié une ligne directrice insistant sur le fait que les programmes de crowdfunding devaient être enregistrés dans un délai de 90 jours ou cesser leurs activités avant le 30 juin 2021. La plupart des soi-disant entreprises, incapables de se faire enregistrer, et encore moins de payer leurs souscripteurs, ont fini par mettre la clé sous le paillasson. La majeure partie des responsables de ces sociétés ont pris la fuite à l’étranger, où ils ont procédé au blanchiment des capitaux.
Certaines victimes ont confié à ENACT que leur plus grande crainte n’était pas la perte de leurs fonds, mais le fait que les fraudeurs détiennent leurs données privées. Il était parfois demandé aux investisseurs de fournir leur code de vérification bancaire, qui pouvait servir à les escroquer davantage ou à ouvrir des comptes bancaires pour effectuer des transactions frauduleuses.
Seule une poignée de ces combines a fait l’objet de poursuites judiciaires fructueuses. Mariam Suleiman, présidente et directrice générale de Famzhi Interbiz Ltd, a récemment été condamnée à cinq ans de prison pour une fraude à l’investissement frôlant les 5,2 millions de dollars (2 milliards de nairas), ce qui constitue une exception.
De nouveaux programmes présentés comme des investissements dans les cryptomonnaies se multiplient parallèlement à d’autres combines à la Ponzi.
Le fait que la loi de 2007 sur les investissements et les valeurs mobilières n’interdise pas explicitement les systèmes de Ponzi constitue une lacune réglementaire majeure. Les systèmes de Ponzi sont illégaux parce qu’ils ne sont pas enregistrés auprès de la SEC. Le Parlement nigérian a adopté l’année dernière un nouveau projet de loi qui interdit expressément ces systèmes et porte la peine d’emprisonnement minimale de cinq à dix ans. La loi n’a toutefois pas encore été promulguée.
Les banques sont complices des escrocs qui détiennent différents comptes bancaires pour dissimuler l’origine des fonds. En 2019, la SEC a bloqué environ 3,1 millions de dollars américains (1,12 milliard de nairas) en espèces dissimulées dans divers comptes bancaires ouverts avec des pseudonymes et des noms de proches de fraudeurs. Aucune mesure n’a été prise à l’encontre de ces banques ou de leurs employés, malgré les appels à enquêter et à les dénoncer.
Les rapports révèlent qu’une grande partie des gains illicites est transférée dans des paradis fiscaux offshore. Certains fonds sont également investis dans des propriétés immobilières au Nigeria. Un couple, auteur d’escroqueries représentant environ 60 millions de dollars (22 milliards de nairas) par l’intermédiaire de leur société, Imagine Global Holdings Company Limited, a acquis des propriétés dans des quartiers huppés de Lagos. Ces transactions immobilières obscures nécessitent peu de vérification préalable ou de connaissance du client, ce qui complique la traçabilité des biens. En 2019, la SEC a saisi des biens immobiliers d’une valeur supérieure à 3,4 millions de dollars américains (environ 1,23 milliard de nairas).
Même lorsque des fonds sont récupérés, ils sont remis au gouvernement et les investisseurs ne reprennent pratiquement jamais possession de leur capital. Il existe des points de vue juridiques divergents sur la restitution des fonds provenant des systèmes de Ponzi. Des avocats chevronnés affirment que les personnes qui investissent dans ces systèmes n’ont aucun droit de recouvrement parce que les tribunaux ne sont pas obligés de veiller au respect des transactions illégales, et que les investisseurs auraient dû traiter avec des sociétés enregistrées auprès de la SEC. Les fonds récupérés ne sont généralement pas proportionnels aux montants totaux investis.
La SEC et les autres autorités de régulation doivent mener une campagne nationale pour promouvoir la culture financière, qui fait défaut tant aux personnes instruites qu’à celles qui ne le sont pas.
Certes, la SEC émet souvent des avertissements contre les systèmes de Ponzi, mais elle tarde généralement à intervenir. La SEC doit privilégier une action rapide en collaboration avec les banques, les fintechs et d’autres organismes de réglementation tels que la Nigerian Financial Intelligence Unit, la Nigeria Deposit Insurance Corporation et la Commission des crimes économiques et financiers du Nigeria. Ces entités devraient mener des enquêtes conjointes sur les volumes élevés de transactions réalisées par ces systèmes sur de multiples comptes afin d’y mettre un terme à un stade précoce.
Ndubuisi Christian Ani, chercheur principal et coordinateur de projet, ENACT, ISS
Image : © Reuters