L’exploitation du bois favorise l’expansion rapide du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin, JNIM) dans le sud du Mali, dernier grand bastion du gouvernement.
Le JNIM, créé en 2017 et actuellement le réseau extrémiste le plus important du Sahel, est issu d’une alliance entre les affiliés d’Al-Qaïda Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al-Mourabitoun, le Front de libération du Macina (Katiba Macina) et Katiba Serma. L’exploitation forestière n’est pas uniquement un moyen d’asseoir sa domination par le biais de ressources ou d’engranger de l’argent, mais elle constitue un élément central de sa stratégie de gouvernance et d’expansion.
Le JNIM se présente comme soucieux des moyens de subsistance des civils face à une économie en déclin, et entend assouplir les restrictions relatives à l’exploitation forestière dans les réserves du Baoulé, au sud du Mali. Son expansion lui a déjà permis de prendre le contrôle de vastes étendues de territoire dans les régions de Mopti, Ségou et Tombouctou, au centre du Mali.
Des membres des forces de l’ordre ont déclaré à ENACT que le projet à long terme du JNIM était de s’emparer de la capitale, Bamako, et d’imposer une charia stricte dans tout le pays et au-delà. Le JNIM et les séparatistes touareg, qui cherchent à obtenir l’indépendance du nord du Mali, se disputent d’ailleurs de plus en plus le contrôle des routes, des espaces et des ressources stratégiques.
Plusieurs branches du JNIM opèrent déjà au Burkina Faso et au Niger, tandis que d’autres étendent leur champ d’action jusqu’aux parties septentrionales des États côtiers de l’Afrique de l’Ouest, comme le Togo et le Bénin.
Les économies illicites sont au cœur de la stratégie d’expansion du JNIM, notamment pour se procurer des ressources et asseoir sa légitimité dans les zones qu’il contrôle. Plusieurs témoignages font état de la présence et de la mainmise du groupe dans les secteurs de l’exploitation minière et forestière ainsi que du commerce illicite dans l’ensemble du Sahel.
Le Mali a perdu plus de 82 % de son couvert forestier depuis 1960 du fait de l’exploitation forestière excessive, de l’urbanisation et de l’expansion de l’agriculture. Les régions méridionales de Kayes, Koulikoro et Sikasso sont les principaux centres de l’exploitation forestière. Elle a généré environ 13,8 millions de dollars (8 milliards de francs CFA) entre 2019 et 2021 dans la seule commune de Kéniéba, dans la région de Kayes. Les cargaisons de bois, souvent abattu sans autorisation gouvernementale, servent à la construction, à la fabrication de meubles et à la production de charbon de bois.
Depuis 2021, les incursions du JNIM dans les régions du sud ont pris pour cible les réserves du Baoulé, situées entre Kayes et Koulikoro. Les réserves de biosphère du Baoulé, qui couvrent environ un million d’hectares, sont gérées par la Direction des parcs nationaux et le Service forestier du Mali. Elles figurent depuis 1982 sur la liste du réseau mondial des réserves de biosphère de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et nécessitent une protection particulière.
Les combattants du JNIM ne participent pas à l’exploitation forestière proprement dite. Ils se contentent de contrôler les réserves forestières et exigent des redevances de la part des exploitants illégaux qui souhaitent y accéder. Des exploitants forestiers ont déclaré à ENACT que le JNIM n’exigeait aucune redevance au départ. La situation a changé en 2022, lorsque les militants ont commencé à réclamer des droits d’accès d’environ 8 dollars américains (5 000 francs CFA) par mois, ou selon les besoins par cargaison. À en croire les agents et les exploitants forestiers, cette stratégie de racket visait à montrer que le JNIM contrôle la région, et l’argent recueilli lui permettait de constituer des réserves.
Certains exploitants forestiers ont affirmé qu’ils payaient la somme exigée parce que leur activité est rentable et essentielle pour assurer leur subsistance. Ils ont également déclaré qu’il était désormais plus facile d’entrer sur le site car les agents forestiers avaient auparavant pour habitude de restreindre l’accès et d’exiger des redevances pour les permis d’exploitation forestière, dont la délivrance était souvent retardée.
En outre, le JNIM réagit promptement aux litiges qui opposent les exploitants et les bandits opérant dans la forêt. Les exploitants forestiers indiquaient généralement aux insurgés, plus proactifs que les agents de sécurité, où se trouvaient les bandits. Les habitants de la région ont déclaré à ENACT que le JNIM avait délogé les bandits, et parfois assassiné les contestataires. Les interventions du JNIM face à cette menace de longue date contre les exploitants forestiers ont permis de renforcer les relations avec les communautés en quête de protection et de meilleures conditions de vie.
Cette situation met en lumière le fait que les acteurs des économies illicites savent tirer parti des failles sécuritaires en s’alliant aux groupes armés pour préserver leur source de revenus.
L’exploitation et l’exportation du kosso – une essence de bois de rose menacée d’extinction et protégée par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages – à partir des zones contrôlées par le JNIM donnent lieu à des actes de corruption des agents forestiers et des fonctionnaires du gouvernement. Des négociants chinois participeraient également à l’exploitation forestière à grande échelle et au trafic de bois, en particulier de kosso, du Mali vers la Chine.
Environ 220 000 grumes de kosso ont été exportées du Mali vers la Chine entre 2020 et 2022 pour répondre à la demande croissante de meubles de luxe. Les grumes sont transportées par voie routière jusqu’au port de Dakar, au Sénégal, où elles sont expédiées vers la Chine. Il est toutefois difficile d’évaluer l’ampleur des interactions entre les négociants chinois et les collaborateurs du JNIM dans les réserves du Baoulé.
Trois facteurs contribuent à pérenniser l’exploitation et l’exportation illégales de bois au Mali : les conflits et l’instabilité politique du pays, l’expansion du JNIM et l’exploitation des ressources par le groupe, ainsi que l’incapacité de l’État à gérer les ressources naturelles du pays.
Le climat sociopolitique du Mali est propice au développement d’activités criminelles. La junte malienne et son nouveau partenaire, le groupe paramilitaire russe Wagner (devenu Africa Corps), semblent gagner du terrain dans les régions du nord et du centre. Mais ils peinent à faire face aux crises complexes qui s’étendent vers le sud, avec des attaques à proximité de Bamako.
Les partenaires internationaux devraient aider le gouvernement à donner une nouvelle impulsion à l’accord de paix d’Alger comme stratégie à moyen et long terme. Répondre aux revendications des séparatistes touareg et mettre un terme à leur coopération occasionnelle avec les groupes extrémistes opposés aux forces gouvernementales contribuerait à rétablir une certaine stabilité au Mali.
Le JNIM a pris de l’envergure dans le sud du Mali, car il a su tirer parti des désaccords communautaires et des griefs des individus et des communautés liés à des problèmes tels que des conflits entre éleveurs et agriculteurs sédentaires ou l’esclavage moderne. Des groupes et des individus lésés, en particulier ceux qui connaissent bien les zones forestières du Baoulé, ont rejoint les rangs du JNIM, ce qui a renforcé sa capacité à contrôler les zones d’exploitation forestière.
Au-delà des réponses sécuritaires contre les insurgés, le gouvernement devrait approfondir la coopération avec les communautés locales et la société civile afin de remédier aux fractures communautaires et réduire le soutien aux extrémistes. Il pourrait faciliter l’obtention de permis pour les exploitants forestiers et assurer leur protection contre les gangs.
Certes, le Mali a mis en place des restrictions contre l’exploitation forestière excessive, surtout dans les réserves forestières, y compris une interdiction d’exportation des grumes de kosso en 2020, mais il peine encore à réguler l’économie de l’exploitation forestière, ce qui ouvre la voie à des abus.
Dans ce contexte, il est essentiel de s’attaquer à la corruption des acteurs étatiques qui ferment les yeux sur les exportations de grumes de kosso. Il en va de même pour l’engagement de la Chine et d’autres acteurs clés afin de garantir le strict respect des restrictions en matière d’exploitation forestière et d’exportation. Sans efforts concertés de la part des autorités nationales, le JNIM pourrait consolider son emprise sur les zones forestières du sud du Mali, s’arrogeant le monopole de l’économie lucrative du bois.
Ndubuisi Christian Ani, chercheur principal et coordinateur de projet
Image : Le rapport d'EIE distribué