En février, plus de 800 kg de cocaïne ont été saisis dans un bateau de pêche gambien navigant dans les eaux sénégalaises. Les stupéfiants, transbordés en pleine mer depuis un plus gros navire, étaient destinés au marché européen. En 2021, les autorités gambiennes ont confisqué près de trois tonnes de cocaïne réparties en 118 sacs dissimulés dans une cargaison de sel industriel en provenance d’Équateur.
Selon l’indice 2021 du crime organisé en Afrique, la Gambie est l’un des principaux points de passage du trafic de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe. Le gouvernement a d’ailleurs reconnu en 2020 que « la Gambie continue à servir de lieu de transit/stockage pour la cocaïne, l’héroïne et le cannabis provenant de pays sources et de la sous-région et entrant dans le pays par les frontières maritimes, terrestres et aériennes ».
Un policier de l’Agence gambienne de lutte contre la drogue (DLEAG), sous couvert d’anonymat, a révélé à ENACT que l’intensification du trafic de cocaïne par voie maritime dans le pays remontait au début des années 2000. Avec l’ouverture des marchés mondiaux, les trafiquants se sont servis de l’Afrique de l’Ouest comme point de passage pour les cargaisons de cocaïne transitant de l’Amérique du Sud vers l’Europe.
Les 200 km de côtes du pays et les moyens restreints dont il dispose pour assurer une surveillance efficace de son domaine maritime en font un lieu intéressant et un point de transit pratique pour le trafic de cocaïne. Les groupes criminels organisés transnationaux tirent également parti des capacités limitées de répression dans les ports du pays.
Michael Davies, directeur général de Public-Private Integrity, une organisation de la société civile engagée dans la lutte contre la corruption, a déclaré à ENACT : « Sous la présidence de Yahya Jammeh, il a été difficile pour le gouvernement d’enquêter sur les crimes liés à la drogue et traduire les responsables en justice. Ces problèmes étaient essentiellement liés à une gestion inadéquate des dossiers, à une pénurie de personnel dans le secteur judiciaire et à une surcharge des tribunaux dont les criminels avaient connaissance. » D’anciens dirigeants et des institutions du pays ont également été impliqués dans le trafic de drogue.
Ces dernières années, cependant, la Gambie s’est battue pour relever bon nombre de ces défis.
Ismaila Sow, policier à la DLEAG, a déclaré à ENACT que l’administration actuelle travaillait avec des partenaires régionaux et internationaux afin de partager des renseignements, de participer à des opérations conjointes, de former les services répressifs et d’améliorer leur capacité à repérer et à intercepter les bateaux utilisés pour le trafic de drogue. Selon lui, le protocole d’accord conclu en 2021 entre la Gambie et le Nigeria traduit cette volonté de lutter contre le transit de drogue par voie maritime.
La Gambie a également amélioré son cadre juridique. En 2005, une révision de la loi portant création du Conseil national de contrôle des drogues (NDCC) a institué l’Agence nationale de lutte contre la drogue (NDEA). Il s’agissait d’une entité de sécurité indépendante chargée de l’application de la loi, de la réglementation, de la coordination et du contrôle sur toutes les questions liées au trafic et à la consommation de drogues illicites en Gambie.
La loi sur le NDCC a ensuite fait l’objet de plusieurs révisions en 2009, 2010, 2011 et 2013 pour renforcer les capacités d’application des règles et les mécanismes de conformité. En 2014, le NDEA a été restructuré sous le nom de DLEAG afin d’assurer le respect des normes et exigences internationales.
Ces avancées, conjuguées à la hausse des investissements dans les services répressifs, ont permis d’accroître les saisies de drogue, ainsi que les arrestations et les poursuites dans le cadre de ces affaires. La chaîne de télévision gambienne QTV rapporte qu’entre janvier 2021 et avril 2023, la DLEAG a enregistré 1 629 affaires impliquant 1 665 suspects. À l’occasion de la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues 2023, le ministre de l’Intérieur Seyaka Sonkoh a fait part de la détermination du gouvernement à « démanteler tout réseau de crime organisé opérant dans notre juridiction ».
Parmi les derniers événements en date, la Gambie a signé en janvier 2023 un protocole d’accord avec le projet de coopération portuaire SEACOP. SEACOP est un programme financé par l’Union européenne qui collabore avec les pays pour prévenir et endiguer le commerce maritime illicite. Le principal partenaire de mise en œuvre du projet, Expertise France, s’attache à renforcer les capacités et la coopération afin de contrer le trafic par voie maritime dans les pays situés sur la route transatlantique de la cocaïne. Akizi-Egnim Akala, coordinateur régional adjoint de SEACOP pour l’Afrique de l’Ouest, a déclaré à ENACT que le protocole d’accord s’appuierait sur le « bon travail réalisé par l’administration actuelle pour lutter contre les criminels ».
Mais pour que cette entente soit utile, la Gambie doit améliorer le partage d’informations, la collecte de renseignements et la conduite d’opérations conjointes entre les services compétents, notamment les services répressifs, les douanes et les autorités portuaires.
Le pays doit également créer une force opérationnelle spécialisée dans la lutte contre le trafic de drogue par voie maritime, composée de membres des agences de sécurité telles que la police, la marine et les douanes. Cette force opérationnelle doit être dotée des ressources et de la formation nécessaires pour enquêter sur les trafiquants de drogue et les appréhender.
Akizi-Egnim Akala a précisé que les services gambiens de lutte contre la drogue recevraient en octobre du matériel et des formations dans le cadre du projet. SEACOP met l’accent sur les approches et les technologies fondées sur le renseignement pour repérer les conteneurs à haut risque et détecter les marchandises illicites. Le gouvernement gambien pourra ainsi accéder à des équipements de pointe, tels que des scanners de conteneurs et des outils d’analyse de données, grâce auxquels il améliora considérablement ses capacités à identifier et intercepter les articles illégaux.
La lutte contre le trafic de drogue par voie maritime nécessite également une coordination et une collaboration avec les pays voisins. La Gambie partage des frontières avec le Sénégal, plaque tournante majeure pour les trafiquants de drogue. De plus, la sécurité maritime du pays dépend de la situation dans le golfe de Guinée, une zone particulièrement touchée par la piraterie et d’autres actes criminels.
Tout effort visant à renforcer la sécurité maritime et à lutter contre le narcotrafic doit tenir compte du contexte régional et intégrer les partenaires régionaux. Pour cela, il faudrait notamment assurer la coordination d’opérations et de patrouilles conjointes avec des partenaires de la sous-région et harmoniser les cadres juridiques et législatifs avec les principes et normes en vigueur dans la région.
Il est primordial que la Gambie contribue à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une stratégie régionale de sécurité maritime, comme l’exige le Code de conduite de Yaoundé, qui constitue le pilier de la sécurité maritime en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
Feyi Ogunade, coordonnateur de l’Observatoire régional du crime organisé en Afrique de l’Ouest