Depuis des décennies, l’île Maurice est une destination populaire pour les trafiquants de drogues traditionnelles telles que l’héroïne et le cannabis. Malgré les lourdes peines de prison que l’infraction entraîne sur l’île, les médias font quotidiennement état de saisie de drogues et d’arrestations de trafiquants qui tentent toujours de faire passer des substances en contrebande.
Récemment, l’île a toutefois connu une augmentation des drogues synthétiques. Chaque année depuis 2015, le nombre de personnes arrêtées en relation avec les drogues synthétiques a doublé, avec 1 059 personnes en 2018. Par ailleurs, une importante hausse des cas de toxicomanie en milieu hospitalier a été enregistrée dans les établissements de santé publique, les derniers chiffres indiquant que 44% des cas d’abus de drogues en 2017 étaient liés à de nouvelles substances psychoactives (NSP).
L’indice ENACT du crime organisé en Afrique classe l’île Maurice en tête dans le commerce des drogues synthétiques dans la région de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et parmi les 10 premiers pays du continent.
Les drogues synthétiques sont fabriquées dans des laboratoires qui utilisent des produits chimiques pour imiter d’autres stupéfiants ou hallucinogènes traditionnels tels que la marijuana, la cocaïne, l’ecstasy, le LSD, les stimulants de type amphétamines et même la morphine. Les NSP sont la forme prédominante des drogues synthétiques utilisées à l’île Maurice. Sur la base des données de saisie, les types de nouvelles substances psychoactives les plus courants sur l'île sont les cannabinoïdes synthétiques et les cathinones de synthétiques.
La compréhension de l’histoire des drogues dans le pays est essentielle pour contextualiser le problème. L’abus de drogues à l’île Maurice remonte aux années 1970 lorsque l’héroïne y a été introduite pour la première fois. Depuis lors, le problème a atteint des niveaux alarmants. Le rapport mondial sur les drogues de 2010 a révélé que l’île Maurice avait la plus forte prévalence de consommation d’opiacés en Afrique.
Depuis lors, le gouvernement s’efforce de contenir le problème malgré l’adoption d’une position de santé publique plus holistique sur l’abus de drogues en s’éloignant de l’approche traditionnelle de la justice pénale de « la guerre contre la drogue ». Il a mis en place diverses initiatives et programmes de lutte contre l’abus des drogues, notamment des stratégies de réduction des risques dans les documents de politiques nationales, des programmes d’échange d’aiguilles et de seringues, des traitements de substitution aux opiacés et des programmes de sensibilisation aux drogues.
Le changement d’approche a connu un certain succès, notamment en ce qui concerne la réduction de la consommation de cannabis et d’opiacés traditionnels comme l’héroïne. Cependant, l’ampleur du problème des NSP s’intensifie et représente un fardeau pour les forces de l’ordre et les systèmes de santé publique.
L’ancien procureur général et ministre de la Justice, Rama Valayden, a déclaré aux médias qu’ « il n y a aucun moyen de gagner la lutte contre les drogues synthétiques », en faisant remarquer que les producteurs de drogues remplaçaient les composés de la drogue tellement rapidement que les forces de l’ordre ne pouvaient les détecter.
Les drogues peuvent être obtenues sous diverses formes. Les produits chimiques utilisés pour la production de ces drogues peuvent être importés via Internet sous forme de poudre ou de liquide, et on estime qu’environ 95% de ces ingrédients sont importés de Chine. Contrairement à l’héroïne ou à la cocaïne, la NSP peut être produite à la maison ; pour ce, les personnes utilisent des produits tels que les pesticides, le caoutchouc, les raticides et les détergents, entre autres.
Malgré le défi croissant que représente la drogue, le gouvernement a réalisé quelques progrès dans la lutte contre ce fléau. Une commission d’enquête avait ainsi été créée en 2015 pour « enquêter et faire rapport sur tous les aspects du trafic de drogue à l’île Maurice et faire rapport ». L’une des tâches de l’enquête consistait à examiner la disponibilité de nouveaux types de drogues, notamment les drogues synthétiques et les nouveaux produits de synthèse.
Le rapport de la commission, publié en 2018, a formulé plus de 400 recommandations au gouvernement, qui a mis en œuvre certains et en a évalué d’autres. L’une des recommandations mise en œuvre concernait la création de l’Observatoire national des drogues, dont les principaux objectifs sont de surveiller la consommation de drogues illicites, l’abus de drogues et le trafic de drogues dans le pays.
En 2019, le gouvernement a lancé le Plan directeur national de lutte contre les drogues 2019-2023 sur la base de quatre piliers: la réduction de l’offre, la réduction de la demande, la réduction des méfaits et un mécanisme de coordination relatif à la législation, au cadre de mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation, et aux informations stratégiques. Le plan met l’accent sur trois aspects essentiels qui sous-tendent le plan et sa mise en œuvre. Il s’agit du renforcement des capacités, du respect des droits de l’homme et de la parité hommes-femmes.
Le plan, élaboré grâce à des engagements consultatifs avec des organisations non gouvernementales, a des objectifs pratiques clairement définis. Mais est-ce que cela aidera à freiner le problème des drogues synthétiques ?
Le succès d’une politique repose sur sa mise en œuvre plutôt que sur son contenu. Il est donc important que son plan de mise en œuvre soit réalisable, pratique et adapté à la situation actuelle. Au cours de sa mise en œuvre, certains des aspects importants à prendre en considération comprennent la volonté des jeunes à expérimenter de nouvelles drogues et le faible coût de fabrication de celles-ci.
Il y a quelques aspects clés à mettre en œuvre à court terme. En matière de législation, le gouvernement pourrait utiliser les lois existantes sur les drogues ou les adapter afin de les rendre plus réactives, combinées à d’autres formes de législation, pour créer des approches plus complètes. Une option pourrait consister à promulguer une loi spécifique aux nouvelles substances psychoactives axées sur l’importation, l’exportation et la vente de toute substance psychoactive addictive ou nocive, comme l’illustre la loi irlandaise de 2010 sur les substances psychoactives.
L'élaboration d'un système d'alerte précoce pour surveiller les NSP et d’autres drogues synthétiques au sein de l’Observatoire national des drogues de l’île Maurice permettrait de mieux comprendre le marché des NSP et ses caractéristiques. Ces informations pourraient être utilisées pour éclairer les politiques et apporter des réponses plus appropriées au problème.
Il est nécessaire d’intégrer les informations sur les NSP dans les programmes de prévention et de sensibilisation aux drogues. Ces programmes pourraient inclure la sensibilisation aux risques liés aux NSP et l’élaboration de stratégies visant à réduire la consommation nocive des NSP.
Les drogues synthétiques ouvrent une nouvelle ère pour le marché de la drogue à l’île Maurice. Le faible prix et la disponibilité des ingrédients, associés à un plus grand accès aux acheteurs grâce à une technologie de pointe, permettent aux trafiquants de garder une longueur d’avance sur les forces de l’ordre. A moins que cette tendance change, les trafiquants auront le dessus et les drogues synthétiques pourraient devenir beaucoup plus répandues sur l’île.
Richard Chelin, chercheur, projet ENACT, ISS