13 Dec 2023

Mining and extractives / L’exploitation minière illégale par des acteurs chinois complexifie la criminalité au Nigeria

Dans un pays confronté à diverses formes de criminalité, la présence de délinquants étrangers dans le secteur extractif pose un défi majeur.

Le Nigeria est riche en ressources minières qui constituent une part importante de son produit intérieur brut. Le pays regorge de minéraux tels que la barytine, le bitume, le fer, le plomb, le zinc, le charbon, le calcaire et l’or, dont la valeur commerciale est estimée à 700 milliards de dollars US. L’exploitation de ce potentiel permettrait au Nigeria de diversifier ses sources de revenus et d’augmenter ses recettes en devises.

Cependant, le secteur minier du pays est confronté à de nombreux défis et plusieurs facteurs entravent actuellement ses performances, notamment l’opacité des conditions d’extraction, l’insécurité et la criminalité organisée.

Les ressources naturelles du Nigeria sont exploitées depuis plusieurs décennies par des criminels étrangers dont l’attention se porte aujourd’hui sur le secteur extractif. Depuis le début de l’année 2020, plusieurs ressortissants chinois ont été arrêtés pour leur participation à des activités minières illégales.

En avril 2020, la police nigériane a appréhendé deux citoyens chinois dans l’État de Zamfara suspectés de pratiquer des activités minières illégales dans la zone du gouvernement local de Bukkuyum, où les autorités fédérales avaient interdit toute exploitation minière pour endiguer les tueries perpétrées par des bandits armés. En septembre 2022, un ressortissant chinois a été arrêté par des agents de la Commission contre les délits économiques et financiers (EFCC) à Ilorin, dans l’État de Kwara, en possession d’un camion rempli de minéraux censés être de la lépidolite.

En juillet 2023, l’EFCC a arrêté 13 autres ressortissants chinois accusés de se livrer à des activités minières illicites. En août 2023, le gouvernement de l’État d’Akwa Ibom a fermé une société minière illégale exploitée par des Chinois car elle ne disposait pas des documents autorisant l’extraction de minerai de titane dans la communauté d’Ibeno.

Le Nigeria est riche en ressources minières qui constituent une part importante de son PIB

Au fil des ans, les incohérences des politiques relatives au secteur minier ont semé la confusion dans les sites et les activités d’extraction. Cette absence de législation globale a favorisé la présence d’exploitants illégaux. Leurs activités se caractérisent par des techniques d’extraction manuelles inefficaces, un commerce illicite de minéraux à prix élevé, une grave dégradation de l’environnement, la propagation de maladies et une perte colossale de revenus pour l’État du fait de la contrebande. Cette situation a facilité la tâche des groupes criminels étrangers, qui peuvent continuer à tirer parti du commerce illicite de minéraux dans tout le pays.

Les criminels étrangers se concentrent depuis peu sur l’exploitation aurifère. Dans les communautés du nord-ouest et du centre du Nigeria touchées par le banditisme, des réseaux criminels peu structurés pratiquant l’extraction illégale de l’or entretiennent des liens avec des acteurs étrangers et facilitent les flux de trafic. La plupart des marchés criminels de l’or sont alimentés par la demande étrangère, mais soutenus par des acteurs locaux.

Les réseaux criminels étrangers opèrent de la même manière que les acteurs locaux et ont repositionné leurs activités dans la chaîne de valeur criminelle en s’insinuant directement dans l’exploitation aurifère illicite au sein des villages et des forêts isolés.

ENACT s’est entretenu avec plusieurs membres des services répressifs et du secteur de la sécurité sous couvert d’anonymat. Pour un officier supérieur de police de l’État de Zamfara, dans le nord-ouest du Nigeria, l’incursion de criminels étrangers dans l’extraction de l’or découle du fait que « notre secteur minier n’a pas été considéré comme une priorité par les acteurs de la sécurité nationale jusqu’à une époque récente, lorsque le banditisme rural s’est immiscé dans l’exploitation minière illégale ».

« La plupart des activités minières sont menées par des exploitants illégaux puisque les législateurs et les agents du secteur de la sécurité se désintéressent des sites d’extraction. Cette négligence de longue date, qui attire les bandits vers ce secteur, profite également aux ressortissants chinois et à d’autres acteurs étrangers. »

Le gouvernement doit accorder la même importance aux ressources minérales solides qu’à l’exploration pétrolière et gazière

Faisant écho à ces propos, un haut responsable de la Commission indépendante de lutte contre la corruption et autres délits connexes (ICPC) a déclaré que le problème était dû « à une corruption endémique, à des réglementations minières opaques, à la pauvreté de la population riveraine des sites miniers et au fait que les acteurs chinois, quel que soit l’endroit où ils opèrent, n’hésitent pas à corrompre le système avec des fonds étrangers [pour] soutenir les activités minières illégales et les atteintes à la sécurité qui en découlent. Ils sont toujours prêts à compromettre les organismes de réglementation du secteur minier et la population locale. »

La situation est amplifiée par une procédure d’octroi de visas inadéquate, sous-tendue par l’incompétence et la corruption. Les services d’immigration nigérians continuent de délivrer des visas de tourisme à des travailleurs chinois, malgré le fait qu’une bonne partie d’entre eux restent travailler au Nigeria après la date d’expiration de leur visa.

En mars 2022, les services d’immigration de l’État de Niger ont arrêté plus de 200 travailleurs chinois qui se seraient rendus au Nigeria avec des visas de tourisme et auraient continué à y séjourner après l’expiration de leur titre de circulation. ENACT a constaté que ce phénomène était entretenu par la lourdeur des procédures d’approbation des visas par les autorités nigérianes et par la violation pure et simple des titres de circulation délivrés par le Nigeria aux travailleurs chinois.

Dans un pays confronté à diverses formes de criminalité, cette nouvelle strate de délinquants étrangers pose de sérieuses difficultés de sécurité. Le gouvernement doit accorder la même importance aux ressources minérales solides qu’à l’exploration pétrolière et gazière. Ces ressources comptent parmi les biens nationaux essentiels du pays et doivent être protégées par une réponse coordonnée en matière de sécurité.

Si l’impunité perdure, les criminels étrangers pourraient fournir des financements illicites à des groupes armés ou terroristes en échange d’un meilleur accès aux minéraux. Une récente étude d’ENACT établit d’ailleurs un lien entre l’exploitation aurifère illégale dans l’État de Zamfara et le banditisme qui sévit depuis longtemps dans le nord-ouest du pays.

Il est important de coopérer avec la Chine pour lutter contre les activités minières et le commerce de minéraux illicites

Les agents des services répressifs et des forces de sécurité doivent placer le secteur extractif au cœur de leurs priorités. Ce domaine doit bénéficier d’une surveillance étroite par l’armée, la police et le Corps de sécurité et de défense civile du Nigeria.

Un officier supérieur de police basé à Abuja a indiqué à ENACT que les différents organismes devaient coopérer pour identifier, arrêter et poursuivre les criminels étrangers opérant dans le secteur extractif. La collaboration avec les services d’immigration joue notamment un rôle essentiel pour enrayer cette criminalité à la source. Les mineurs étrangers doivent posséder les papiers nécessaires et être régularisés ou expulsés, le cas échéant.

Certains mineurs étrangers en situation illégale peuvent faire partie de réseaux criminels plus vastes. Il est donc essentiel de coopérer avec la Chine pour lutter contre les activités minières et le commerce de minéraux illicites à l’échelle transnationale. Dans certains cas, les autorités fédérales pourraient adopter ou modifier certaines lois et réglementations afin de s’attaquer à l’exploitation minière illégale et de renforcer les sanctions.

Enfin, il est primordial de sensibiliser le public notamment les populations locales aux préjudices de l’exploitation minière illégale pour la société, l’environnement et la sécurité et les encourager à signaler les activités suspectes.

Oluwole Ojewale, coordonnateur de l’Observatoire régional du crime organisé en Afrique centrale, et Freedom Onuoha, maître de conférences au département de sciences politiques et coordonnateur du groupe de recherche sur la sécurité, la violence et les conflits, Université du Nigeria

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