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En 2021, le paludisme a touché 234 millions de personnes en Afrique, dont 593 000 sont décédées, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Réalité tout aussi frappante, les médicaments antipaludiques contrefaits et de qualité inférieure entraînent chaque année la mort de 267 000 personnes en Afrique subsaharienne.
Au fil des ans, les médicaments antipaludiques communément recommandés et disponibles en Afrique de l’Ouest, la chloroquine et la sulfadoxine-pyriméthamine, ont perdu de leur efficacité. « Il fallait faire quelque chose », commente le Dr Sunday Olise, du centre médical Orozo à Abuja. « De nombreux gouvernements de la sous-région ont suivi la recommandation de l’OMS de passer aux polythérapies à base d’artémisinine (ACT) ».
Cependant, en raison de leur efficacité et de leur utilisation généralisée, les médicaments antipaludiques, en particulier les ACT, figurent parmi les traitements les plus contrefaits dans le monde, explique-t-il. Au niveau planétaire, la Chine et l’Inde sont les principaux fabricants d’ACT et de beaucoup d’autres médicaments. Les Émirats arabes unis, Singapour et Hong Kong servent de pôles d’échange dans la chaîne d’approvisionnement mondiale.
Il s’agit d’un marché en constante évolution. Le Dr Modu Sonkoh, de l’hôpital universitaire Edward Francis Small en Gambie, explique que les faux médicaments contre le paludisme sont généralement produits dans des laboratoires illicites, souvent dans des pays d’Afrique et d’Asie aux systèmes réglementaires lacunaires.
Un rapport publié en 2023 par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime désigne l’Afrique de l’Ouest, en particulier la Guinée et le Burkina Faso, comme l’un des centres névralgiques de la vente de faux médicaments. Selon ce rapport, des importateurs non autorisés dans ces deux pays demandent à des laboratoires légaux et illégaux en Inde de produire des médicaments avec moins de principes actifs, afin de réduire les coûts. La chaîne d’approvisionnement se compose d’employés de centres de distribution agréés, de pharmaciens, de vendeurs au sein de dépôts privés, de fonctionnaires et de personnes pratiquant des activités de corruption dans le secteur de la santé.
Les gouvernements africains ont entrepris de s’attaquer à ce fléau en s’appuyant notamment sur les avancées technologiques et les systèmes de suivi et de traçabilité. James Ogoegbulem, directeur général de Aid Emergency Consolidated Services à Abuja, a expliqué au projet ENACT que le système de suivi et de traçabilité nécessitait « un examen à chaque interaction avec un produit médical, depuis son point d’entrée jusqu’à sa [distribution] ».
Dans le cas des ACT, a-t-il déclaré, « toutes les pharmacies dignes de confiance au Nigeria ont adhéré à ce dispositif. Le Nigeria est en train d’adopter des techniques et des systèmes médico-légaux qui peuvent intégrer des marqueurs d’authentification uniques tout au long de la chaîne de distribution pharmaceutique, garantissant ainsi l’intégrité des produits jusqu’au point d’administration au patient. »
Ifeoma Nnamuchi, microbiologiste chez Vintage Pharmacy à Abuja, au Nigeria, a indiqué à ENACT que le gouvernement nigérian avait commencé à utiliser des technologies telles qu’un service d’authentification mobile pour vérifier la qualité et la validité des médicaments. Cette initiative a été mise en place par l’Agence nationale pour l’administration et le contrôle des aliments et des médicaments (NAFDAC). Un code à gratter sur l’emballage permet de confirmer l’authenticité du médicament acheté grâce à un service gratuit de SMS.
Les partenariats et le partage d’informations entre les pays africains sont essentiels pour lutter contre les ACT contrefaites. Selon Lansana Saccoh, un acteur politique qui a fait campagne pour les élections de 2023 en Sierra Leone sur une plateforme de lutte contre la criminalité, « l’effort pour éliminer les ACT contrefaites en Afrique de l’Ouest nécessite une approche globale et coopérative ».
Même si la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS) soutiennent l’industrie pharmaceutique de la région, il estime qu’« il faut en faire davantage pour lutter contre les ACT contrefaites grâce à une collaboration visant à garantir l’opérationnalisation du Plan de fabrication de produits pharmaceutiques pour l’Afrique ».
Une opération policière conjointe menée en 2021 dans 20 pays africains et coordonnée par INTERPOL et AFRIPOL a permis d’identifier des centaines de suspects. Elle a conduit à la confiscation de plus de 12 millions de produits de santé illicites et à l’emprisonnement de sept cadres d’une société multinationale de distribution de produits pharmaceutiques au Bénin pour leur implication dans la vente de médicaments contrefaits.
En février 2023, le Nigeria et le Cameroun ont signé un accord de coopération visant à enrayer la fabrication et la distribution de faux médicaments en facilitant l’échange d’expériences et d’expertise technique. Une telle collaboration doit être soutenue par des cadres réglementaires et des mécanismes d’application robustes.
Le programme d’harmonisation de la réglementation des médicaments en Afrique de l’Union africaine (UA) constitue un autre modèle intéressant. Il s’appuie sur les communautés économiques régionales pour faciliter l’accès à des produits médicaux de bonne qualité, sûrs et efficaces. Pour soutenir le programme de l’UA, l’agence gambienne de contrôle des médicaments a entrepris de mettre en œuvre des mesures réglementaires strictes sur les ACT, notamment des exigences pour la délivrance de licences aux importateurs et des tests de qualité sur les médicaments.
L’initiative de Lomé, un accord contraignant conclu en 2020 afin de réprimer le trafic de médicaments falsifiés et de qualité inférieure en Afrique, joue également un rôle utile. Pour la première fois, les dirigeants de la République du Congo, du Ghana, du Niger, de l’Ouganda, du Sénégal et du Togo ont fait des médicaments contrefaits et de qualité inférieure une priorité politique de premier plan.
Cette initiative a conduit à l’élaboration d’une « stratégie globale pour prévenir, détecter et combattre les produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés, comprenant... des actions allant de l’éducation au contrôle des frontières, de l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement à des processus juridiques transparents », a déclaré le directeur général de l’OMS, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
« D’autres pays d’Afrique de l’Ouest devraient rejoindre [l’initiative de Lomé] », indique le Dr Sonkoh. Il souligne que la prévention des ACT contrefaites passe par l’éducation, citant le travail de l’Alliance Fight the Fakes comme un exemple de diffusion efficace d’informations. Menée par une coalition d’organisations internationales, cette campagne sensibilise les communautés et les professionnels de la santé aux risques des faux médicaments. Elle est active au Ghana depuis 2020.
Au Nigeria, la NAFDAC mène des initiatives de sensibilisation du public et a lancé depuis août 2021 des campagnes dans huit États. Le Dr Adebola Ajeye, de l’hôpital général de Karshi, explique que l’objectif est « d’éduquer le public grâce à des campagnes dans les médias, des dialogues communautaires et un engagement au niveau local pour lutter contre les ACT contrefaites ».
La lutte contre les médicaments antipaludiques contrefaits représente un défi de taille. Les ressources limitées et l’inadéquation des techniques pour détecter et identifier les faux médicaments en sont les principaux facteurs responsables. Grâce à l’utilisation de technologies appropriées, à la collaboration et au partage d’informations, les pays s’efforcent de garantir la disponibilité d’ACT authentiques. En plus de protéger les consommateurs, cette démarche contribue à l’action mondiale contre les produits pharmaceutiques contrefaits.
Dr Feyi Ogunade, coordonnateur de l’Observatoire du crime organisé en Afrique de l’Ouest, ENACT, ISS
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