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La cyberfraude a pris une tournure sombre au Nigeria depuis que les escrocs, pour dépouiller leurs cibles, concoctent des potions à base d’organes du corps humain, avec l’aide de marabouts.
Voilà une dizaine d’années que les arnaqueurs nigérians surnommés « Yahoo Boys » extorquent de l’argent à des millions de personnes non averties via une escroquerie dite « 419 » réalisée par l’intermédiaire du service de messagerie électronique Yahoo ! « 419 » désigne l’article du Code pénal nigérian qui traite de la fraude et des accusations et sanctions qui s’y rapportent.
Ces escrocs entrent en contact avec leurs victimes, souvent situées à l’étranger, par courrier électronique ou par les réseaux sociaux, en se faisant passer pour des personnes fortunées disposant d’opportunités d’affaires. Pour bénéficier de cette supposée opportunité, les victimes doivent verser des sommes d’argent en amont. Une fois le montant initial reçu, l’escroc demande des paiements supplémentaires, prétextant souvent des complications ou des dépenses imprévues. Mais au final, la victime ne reçoit rien et l’escroc disparaît avec l’argent.
Au fil du temps, la sensibilisation accrue et l’application de la loi par des agences telles que la Commission des crimes économiques et financiers du Nigeria (EFCC) ont mis en lumière cette cybercriminalité, de sorte que le nombre de victimes a considérablement diminué. Par conséquent, les escrocs ont désormais recours à des moyens plus extrêmes.
Sadiq Sunday (nom d’emprunt) est un jeune homme de 24 ans titulaire d’une maîtrise en gestion de la cybersécurité. Il a récemment été appréhendé pour suspicion de fraude sur Internet et a révélé à ENACT un pan sordide de l’arnaque « Yahoo Plus ».
Les escrocs intègrent désormais dans leur mode opératoire des pratiques d’ordre spirituel et surnaturel et des rituels mystiques issus de la culture nigériane, connus sous le nom de cyber-spiritisme, afin d’atteindre leurs objectifs. Ces arnaqueurs combinent des escroqueries classiques, comme l’usurpation d’identité par courrier électronique professionnel, le phishing ou les arnaques à l’amour, à des pratiques vaudoues et occultes.
Les rituels pratiqués à l’aide d’objets comme des serviettes hygiéniques usagées sont censés empêcher l’arrestation des escrocs et accroître leur succès et leur richesse. Une forme encore plus sombre, appelée « Yahoo Plus Plus », implique des sacrifices humains, des rituels, des enlèvements, des prélèvements de parties du corps et des « relations sexuelles avec des fantômes » pour parvenir à leurs fins.
Généralement, les marabouts demandent certaines parties fraîches du corps humain, en fonction de l’escroquerie, afin de composer une potion. L’arnaqueur se met en quête de ces parties et après les avoir obtenues, il doit les incorporer à la potion préparée. À en croire Sunday, l’espionnage commercial et le sabotage de données issues de grands réseaux informatiques nécessiteraient deux yeux gauches et le sein gauche d’une jeune femme (âgée de 25 ans au plus).
Pour se procurer les parties du corps demandées, les escrocs ciblent souvent des jeunes filles sans-abri en quête d’un emploi, car elles ne risquent pas de faire l’objet de recherches. Sunday, qui nie toute implication dans les pratiques Yahoo Plus Plus, explique que les escrocs usent de sortilèges pour attirer les victimes dans des lieux spécifiques, où elles sont kidnappées, droguées et tuées, et où leurs organes sont prélevés en vue des rituels. Les arnaqueurs sont souvent amenés à utiliser leurs propres petites amies. Malgré les mesures de répression à l’encontre des marabouts, les enquêtes de police sur les disparitions de jeunes filles sont rares, notamment en raison du faible taux de signalement par leurs proches.
Une fois la potion préparée, les escrocs ciblent les victimes sur Internet. Les victimes choisies sont conditionnées et hypnotisées en ligne, après quoi elles offrent souvent de leur plein gré leur argent et leurs objets de valeur.
Les Yahoo Boys ne sont pas les seuls auteurs des crimes Yahoo Plus Plus. Un réseau composé d’officiers de police, de responsables de banques et de réseaux criminels internationaux opère dans plusieurs pays. Abdulrahman Adebowale, directeur adjoint des données et du renseignement numérique à la direction du renseignement, a déclaré à ENACT que les malfaiteurs avaient mis en place des écoles où l’on enseigne les ficelles du métier et comment se soustraire à la loi.
Un responsable de l’EFCC ayant requis l’anonymat a déclaré à ENACT que la répression policière contre les cybercriminels au Nigeria avait poussé les escrocs Yahoo Plus Plus vers le Sahel. Le trafic et la contrebande y sont florissants, surtout lorsque les commandes de parties du corps humain viennent de l’étranger.
L’émergence des escroqueries Yahoo Plus Plus au Nigeria résulte d’un ensemble de facteurs criminels, socioéconomiques, culturels et technologiques. Les jeunes confrontés au chômage et à la pauvreté sont avides de richesse. Cette frustration est aggravée par l’influence de la société qui fait l’apologie de l’opulence et des richesses mal acquises. Abdulrahman Adebowale a déclaré à ENACT que les jeunes Nigérians sont familiarisés avec la corruption en observant la classe politique piller les fonds publics.
Cependant, l’impact de la fraude Yahoo est dévastateur, puisqu’elle affecte les individus, les entreprises et la réputation mondiale de la nation. En 2022, le Nigeria a enregistré une augmentation de 174 % des cybercrimes en l’espace de six mois et, en 2023, l’économie nigériane a perdu 706 millions de dollars du fait de la cybercriminalité. À l’échelle mondiale, les pertes financières dues à la cybercriminalité devraient atteindre 10 500 milliards de dollars américains d’ici à 2025.
Les efforts de lutte contre la cybercriminalité Yahoo Plus Plus au Nigeria sont entravés par des cadres juridiques inadéquats, l’insuffisance des infrastructures de lutte contre la cybercriminalité et le manque de coopération internationale. Malgré la création de l’EFCC en 2002 et de l’adoption de la loi sur la cybercriminalité de 2015, le manque de sensibilisation du public, le manque de clarté des mécanismes de signalement et l’évolution de la cybercriminalité persistent. La politique nigériane de 2021 en matière de cybersécurité reste largement inappliquée.
Avec l’Internet Crime Complaint Center classant le Nigeria au troisième rang mondial en matière de cybercriminalité en 2023, le gouvernement du président Bola Tinubu a fait de la lutte contre les crimes Yahoo Plus Plus une promesse électorale. Il a annoncé que le gouvernement envisageait de former les Yahoo Boys pour en faire des experts en technologie. Il dispose désormais d’un plan ambitieux et complet pour impulser la cybersécurité à l’échelle nationale.
Au cours de l’année écoulée, le gouvernement a mis en œuvre plusieurs politiques, lois et initiatives visant la cybercriminalité, en particulier les crimes liés aux pratiques Yahoo Plus Plus. Des unités spécialisées dans les enquêtes relatives à la fraude en ligne ont été créées au sein des services répressifs. Les stratégies d’application de la loi comprennent une surveillance accrue, une formation renforcée des unités de lutte contre la cybercriminalité et un meilleur suivi des flux financiers liés à ces crimes.
Leur impact reste toutefois mitigé. L’augmentation du nombre d’arrestations et de poursuites a permis de faire passer un message, mais pour les détracteurs, ces actions ciblent principalement les contrevenants de second rang. Le démantèlement des réseaux complexes et l’arrestation des cerveaux derrière les crimes Yahoo restent un défi majeur.
Les efforts déployés par les services répressifs pour la lutte contre la cybercriminalité semblent vains, ce qui soulève des questions quant à leur efficacité à long terme. La nature sophistiquée et transnationale des crimes Yahoo Plus Plus témoigne du fait que les malfaiteurs s’adaptent rapidement en trouvant de nouveaux moyens d’exploiter les failles du système et de passer au travers des mailles du filet.
Abdulrahman Adebowale estime qu’il est important de comprendre la véritable nature, la portée et les tendances des pratiques Yahoo Plus Plus afin d’endiguer le phénomène. Il est essentiel de s’attaquer aux causes profondes qui poussent les jeunes à s’adonner à ces activités et le gouvernement devrait investir dans la d’emplois pour réduire l’attrait des escroqueries. De plus, Abdulrahman Adebowale recommande au gouvernement de moderniser son infrastructure de lutte contre la cybercriminalité.
La collaboration au niveau régional en Afrique de l’Ouest et au niveau international s’avère également essentielle pour démanteler les grands réseaux criminels opérant au-delà des frontières.
Dr Feyi Ogunade, coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé en Afrique de l’Ouest