Selon un rapport du GAFI intitulé Blanchiment de capitaux générés par les crimes contre l’environnement, publié en 2021, le trafic illicite de déchets génère environ 10 à 12 milliards de dollars US par an dans le monde. Le Ghana, qui n’a pas les moyens de recycler tous les déchets dangereux importés sur son territoire, joue un rôle majeur sur ce marché. Environ 150 000 tonnes de déchets électroniques sont expédiées chaque année vers le Ghana, par des voies légales ou illégales.
Si ces réseaux illicites profitent en premier lieu à des acteurs issus des économies occidentales développées, des entreprises occidentales et ghanéennes tirent parti des lacunes juridiques et de la corruption pour opérer dans le pays.
Larry Kotoe, coordinateur de projet au sein de l’Agence ghanéenne de protection de l’environnement (EPA), a expliqué à ENACT qu’une forte activité de réparation de matériel électronique s’est développée au Ghana juste après l’indépendance du pays en 1957. Le Ghana est resté une destination phare pour les déchets dangereux, bien qu’une partie seulement de ces produits puisse être réparée.
Les déchets dangereux ont des conséquences dramatiques sur la santé de la population locale et sur l’environnement. Les câbles en plastique sont brûlés pour en extraire le cuivre, ce qui libère du chlorure de polyvinyle toxique et des agents ignifuges bromés dans l’atmosphère. Les personnes vivant près de la décharge d’Agbogbloshie à Accra inhalent quotidiennement ces fumées toxiques et courent un grand risque de contracter des maladies liées à la pollution ou aux produits chimiques.
Les activités illicites liées aux déchets dangereux font intervenir un vaste réseau d’acteurs, notamment des fonctionnaires de divers ministères, des entreprises et des groupes criminels et mafieux. Il semblerait qu’aucune autre forme de criminalité organisée n’offre autant de possibilités de blanchiment d’argent et de fraude fiscale.
L’un des principaux moteurs de ces crimes contre l’environnement est le profit. En effet, les industries peuvent gagner beaucoup d’argent en éliminant leurs déchets de façon illégale. De plus, les criminels et les entreprises peuvent facilement contourner les traités internationaux sur les déchets en falsifiant des documents authentiques afin de faire passer des déchets pour des produits recyclés ou de seconde main.
Le trafic de déchets dangereux est favorisé par la corruption et le manque de vigilance dans les ports d’exportation. Marco Antonelli, professeur de sciences politiques à l’Université de Pise, explique : « Les déchets dangereux quittent illégalement les ports européens parce qu’il est plus facile d’exporter par des voies illicites depuis [les ports européens] que d’importer dans l’Union européenne (UE). » Selon lui, si les pays européens contrôlent ce qui arrive chez eux, « ils ne se soucient guère de ce qui quitte leur territoire ».
La corruption est exacerbée par une application souple de la législation sur les déchets dangereux à travers le monde. Il est rare que les personnes soupçonnées de pollution soient inculpées d’infractions en lien avec la criminalité organisée. En raison de l’absence d’application de la loi et de la faiblesse des sanctions, les groupes criminels organisés poursuivent leurs activités illégales et enfreignent massivement le droit de l’environnement.
Dans le même temps, Green Advocacy Ghana souligne que l’importation de produits de seconde main assure la survie économique de nombreuses personnes au Ghana. Dans un pays où 27 % de la population vit dans la pauvreté, selon la Banque mondiale, les déchets dangereux génèrent des emplois et des revenus. Par exemple, la plupart des étudiants n’ont pas les moyens d’acquérir un ordinateur neuf. Ils achètent donc des ordinateurs d’occasion reconstitués à partir d’appareils importés. Sans cette solution, beaucoup ne pourraient pas poursuivre leurs études supérieures.
« Ce serait non seulement un suicide politique pour le gouvernement d’interdire totalement ces ordinateurs recyclés, mais les députés ne seraient pas non plus prêts à imposer cette interdiction ou à voter une loi en faveur d’un tel projet », affirme James Benjamin Gaisie, de l’Autorité portuaire du Ghana.
Au niveau international, les déchets dangereux sont réglementés par les Conventions de Bâle et de Bamako. La Convention de Bâle, entrée en vigueur en 1992, a pour principal objectif de protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets nocifs des déchets dangereux en réglementant les mouvements transfrontaliers et l’élimination des déchets dangereux et autres. Les parties peuvent conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux sur la gestion des déchets dangereux avec d’autres parties ou avec des parties non contractantes, à condition que ces accords ne soient pas « moins écologiquement rationnels » que la Convention de Bâle (article 11).
La Convention de Bamako, entrée en vigueur en 1998, a été mise en place en réponse à l’article 11 de la Convention de Bâle. Contrairement à cette dernière, la Convention de Bamako interdit l’importation en Afrique de tous les déchets dangereux en provenance de parties non contractantes et déclare toute importation de cette nature illicite. Le Ghana n’a ratifié que la Convention de Bâle.
À l’opposé de la Convention de Bamako, la Convention de Bâle exclut les déchets ménagers de son champ d’application. Le Ghana n’ayant pas encore ratifié la Convention de Bamako, l’importation de déchets ménagers, tels que des téléviseurs ou des réfrigérateurs, reste autorisée. En outre, comme l’ont déclaré à ENACT Larry Kotoe de l’EPA et un ferrailleur d’Agbogbloshie, aucune loi ghanéenne n’interdit aux citoyens vivant à l’étranger de rapporter ou d’envoyer des conteneurs d’appareils usagés prétendument destinés à leur « usage personnel ».
Le gouvernement ghanéen a conscience du problème. Il a promulgué en 2016 une loi sur le contrôle et la gestion des déchets dangereux et électroniques et l’instrument législatif LI 2250 afférent afin de créer un cadre juridique pour une gestion plus durable des déchets. Des directives techniques sur la gestion durable des déchets dangereux ont été élaborées dans le cadre du programme « Sustainable Recycling Industries ».
Une lacune de la Convention de Bâle permet aux parties de définir ce qui constitue des déchets pour elles. En revanche, la Convention de Bamako est plus contraignante : elle interdit l’importation de tous les déchets dangereux, sauf si le pays destinataire dispose des moyens techniques pour leur recyclage. Or, Accra ne possède pas toutes les capacités requises et ces contraintes pourraient expliquer son choix de ne pas ratifier la Convention de Bamako. Larry Kotoe reconnaît que la Convention de Bamako protège davantage les intérêts nationaux des pays africains.
Pour remédier à la situation actuelle, le Ghana pourrait commencer par renforcer les contrôles sur les mouvements de déchets dangereux, en se concentrant essentiellement sur les cargaisons de produits répertoriés à tort comme étant « de seconde main ». Pour cela, les dirigeants ghanéens doivent placer cette question au rang de leurs priorités. Sur le plan opérationnel, il faudrait recueillir des informations sur les itinéraires et l’emplacement des déchets dangereux dans le pays, les surveiller étroitement et repérer les voies de transit aux mains de la criminalité organisée.
Il conviendrait de renforcer la législation nationale et les capacités de mise en œuvre du pays, en équipant notamment les ports de technologies plus efficaces et en formant leur personnel à la détection des déchets dangereux.
La coopération entre les services répressifs, les douanes, la police, les autorités en charge de l’environnement et les magistrats instructeurs joue un rôle essentiel pour lutter contre la criminalité liée aux déchets au niveau national. Des amendes et des peines plus lourdes pourraient dissuader les exportateurs de déchets dangereux et leurs interlocuteurs sur place.
De même, les ports européens doivent imposer des contrôles plus stricts sur les cargaisons exportées. Le règlement de l’UE sur les transferts de déchets souligne la nécessité de protéger l’environnement. Il vise à renforcer, simplifier et préciser les procédures de contrôle des transferts de déchets afin de mieux protéger l’environnement. Pourtant, le trafic de déchets se poursuit dans ces ports, favorisé par le manque de vigilance et la corruption.
Alors que le recyclage peut être bénéfique pour l’environnement, créer des emplois et générer des revenus, le trafic de déchets toxiques reste une grave menace pour le Ghana. Si les autorités nationales et les pays exportateurs ne se saisissent pas de la question, les Ghanéens et l’économie du pays resteront otages de ce commerce illégal.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, ENACT, Afrique de l’Ouest, et Solomon Okai, chargé de programme principal, Fondation pour la sécurité et le développement en Afrique (FOSDA)