Le nombre de meurtres commis par les bandits au nord-ouest du Nigeria entre 2018 et 2023 était de loin supérieur à celui de l’État islamique en Afrique de l’Ouest et du groupe Jama’atu Ahlul Sunnah lid-Da’wah wa’l-Jihad réunis dans le nord-est du pays au cours de la même période.
Depuis 2011, ces gangs sèment la terreur au sein des communautés. Vols de bétail, enlèvements contre rançon, extorsions, vols à main armée et attaques à grande échelle sont autant de crimes perpétrés par leurs membres. Les États de Katsina, Kaduna, Kano, Sokoto, Jigawa et Zamfara, ainsi que certaines parties des États de Niger, Kogi, Nasarawa et Plateau dans la région du centre-nord sont leurs cibles principales.
Le banditisme prolifère malgré les interventions militaires et la vigilance des populations locales. Grâce à leur ingéniosité, les bandits ont pu renforcer leurs moyens d’action et leur capacité d’adaptation en mobilisant des fonds et des ressources provenant de multiples sources. Ils disposent aussi bien de sources de revenus licites qu’illicites, raison pour laquelle les interventions militaires à elles seules sont insuffisantes. Il convient d’y associer l’engagement des communautés et des interventions réglementaires.
De nouvelles recherches menées dans le cadre de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC) et du projet Armed Conflict Location & Event Data Project permettent de faire la lumière sur ce problème. Elles portent sur l’évolution et la structure des gangs de bandits, ainsi que sur les sources illicites qui leur permettent de financer leurs activités. Elles analysent également les interactions entre les communautés et les autres groupes armés non étatiques.
Les recherches de la GI-TOC révèlent que les bandits armés tirent leurs revenus de cinq sources principales entre lesquelles ils oscillent : le vol de bétail, les enlèvements contre rançon, l’exploitation artisanale de l’or, le transport et l’extorsion des usagers de la route, ainsi que la mise à contribution des agriculteurs par la saisie de terres et le travail forcé. À l’intérieur de ce cadre, ils mènent trois types d’activités : des attaques et des vols visant à perturber les chaînes d’approvisionnement, l’imposition de taxes aux commerçants et le contrôle des chaînes d’approvisionnement pour des marchandises spécifiques, comme l’or artisanal ou le bétail.
De 2011 à 2019, les marchés aux bestiaux ont joué un rôle prédominant dans le financement du banditisme. Les bandits dérobaient du bétail, quelques bêtes ou plusieurs centaines de têtes, qu’ils revendaient ensuite. En outre, ils imposaient des taxes aux éleveurs, prétendument pour assurer leur protection, même si cela n’a pas dissuadé d’autres brigands de dérober du bétail. Les éleveurs étaient réticents à payer ces sommes, car la sécurité de leur troupeau n’était pas vraiment garantie.
La diminution du nombre de têtes de bétail due au vol et au déplacement des éleveurs vers des zones plus sûres a entraîné une baisse des revenus tirés du trafic de bétail. Depuis 2019, les bandits pratiquent les enlèvements, qui sont devenus la principale source de revenus de nombreux groupes. De 2019 à 2022, lorsque les enlèvements étaient l’activité la plus rentable dans le nord-ouest, les bandits ciblaient principalement des agriculteurs et des hommes d’affaires aisés. Ils ont perçu des millions de nairas en paiement de rançons.
À la fin 2022 et en 2023, cependant, le nombre de cibles potentielles des ravisseurs a diminué et l’enlèvement d’individus n’était plus aussi lucratif. De nombreux agriculteurs et hommes d’affaires, pris pour cible à plusieurs reprises, étaient ruinés par le paiement de rançons, avaient quitté la région ou avaient perdu la vie pour avoir refusé de payer les rançons.
L’indignation de l’opinion publique à l’égard de ces activités criminelles et la volonté de gagner des voix lors des élections ont notamment contraint le gouvernement à prendre des mesures énergiques contre les enlèvements. La sécurité a été renforcée le long des axes routiers connus pour être des points névralgiques. Mais en raison de l’affectation des forces de sécurité nigérianes dans diverses zones de conflit, l’impact de ces opérations est de courte durée et les déploiements militaires sont souvent temporaires dans les zones reculées où les gangs opèrent principalement.
Avec la chute des revenus tirés des enlèvements et du vol de bétail, les bandits se sont tournés vers l’extraction de l’or pour financer leurs activités.
Dans un premier temps, les bandits ont attaqué les mineurs et les intermédiaires chargés d’acheter de l’or sur les sites miniers. La fréquence des attaques a commencé à attirer l’attention des médias en 2016, notamment après un incident au cours duquel 36 chercheurs d’or ont trouvé la mort dans la communauté de Gidan Ardo, à Zamfara. Les attaques se sont intensifiées entre 2016 et 2018, en particulier à Kaduna et à Zamfara.
Face à la recrudescence des agressions contre les mineurs et prenant conscience du rôle du secteur aurifère dans le financement du banditisme armé, le gouvernement fédéral a interdit toutes les activités minières à Zamfara en avril 2019. Les États d’Afrique de l’Ouest, en particulier au Sahel, ont réagi de la même manière.
Malgré l’interdiction, l’exploitation minière artisanale s’est poursuivie. Depuis novembre 2022, les mineurs et leurs clients à Bukuyum et Maru doivent verser 10 % de leurs revenus mensuels à des gangs de bandits. Cette taxe, bien que qualifiée de « taxe de protection », vise essentiellement à garantir l’accès des mineurs et des négociants aux sites d’exploitation artisanale, plutôt qu’à assurer leur sécurité. Les mineurs locaux qui se sont entretenus avec la GI-TOC avouent être réticents à payer ces sommes, mais s’y conforment par crainte.
Bon nombre d’entre eux préfèrent cette « taxation » par les bandits à l’interdiction pure et simple de l’État. Les recherches de la GI-TOC révèlent que, dans diverses zones géographiques, la criminalisation des marchés – comme l’interdiction des activités d’extraction aurifère à Zamfara – peut engendrer des pratiques extractives illégales associées à des extorsions.
Depuis 2021, les gangs de Zamfara et de Kaduna imposent des taxes aux communautés agricoles pour qu’elles puissent accéder à leurs propres terres. Mais même les agriculteurs qui se soumettent à ces conditions ne sont pas à l’abri de la violence des bandits. Certains agriculteurs qui coopèrent sont enlevés, obligeant leurs proches à vendre des récoltes entières pour payer leurs rançons.
Pour affaiblir durablement ces gangs, les interventions doivent s’appuyer sur une cartographie approfondie des structures et de la dynamique interne de ces criminels, ainsi que sur un tableau d’ensemble de leurs mécanismes de financement et de la manière dont ceux-ci influencent leurs interactions avec les communautés.
Cibler une seule source de revenus à la fois est inefficace, car ces criminels disposent d’une pléthore de sources. Pour véritablement démanteler les flux financiers dans la durée, les autorités doivent s’attaquer aux différentes économies illicites et licites qui entretiennent le banditisme armé. Ce type de stratégie permettrait alors d’amoindrir les capacités globales des bandits et la rentabilité de leurs activités.
Si l’intensification des opérations militaires a permis de mettre fin à court terme au banditisme dans certaines régions, la sécurité et la stabilité durables dans le nord-ouest restent difficiles à atteindre. Les résultats des opérations militaires sont mitigés : bien que nécessaires dans certains cas, elles ne sont pas toujours adéquates et leurs conséquences sur le long terme ne sont généralement pas positives.
Cette cartographie permettrait d’élaborer une stratégie de réponse globale alliant des mesures de sécurité ciblées à l’engagement des communautés et à des réponses réglementaires. Il s’agira notamment de renforcer la présence des forces de sécurité pendant la période de semailles (avril-juin) et de récolte (octobre-novembre) afin de limiter les extorsions des agriculteurs, ainsi que d’intensifier les stratégies de collecte de renseignements. Par ailleurs, il convient de noter que les interdictions frappant des économies qui constituent des sources de revenus essentielles – telles que l’exploitation artisanale de l’or – ont eu un effet boomerang, au point de rendre l’influence des bandits préférable à celle de l’État. Les interventions doivent tenir compte de ces risques et reconsidérer les approches en matière de criminalisation.
Les mesures destinées à aider les communautés consistent à offrir d’autres moyens de subsistance aux personnes et aux groupes susceptibles d’être recrutés par des bandits. Dans l’idéal, les mesures réglementaires devraient compléter les mesures de sécurité et d’engagement communautaire par le biais de politiques et de pratiques. Les options peuvent inclure la formalisation du secteur de l’extraction artisanale de l’or, l’établissement de systèmes de responsabilité pour les groupes d’autodéfense et la mise en œuvre de mécanismes de vérification améliorés pour les ventes du bétail.
Kingsley L Madueke, coordinateur de recherche au Nigeria, et Lawan Danjuma Adamu, coordinateur de terrain pour le nord du Nigeria, GI-TOC