27 Apr 2021

L’extraction illégale de sable menace l’économie touristique du Maroc

Des écosystèmes côtiers vulnérables sont mis en péril pour répondre aux besoins de l’industrie de la construction au Maroc.

Le Maroc compte sur la beauté de ses plages pour attirer les touristes. Cet aspect de l’économie touristique est essentiel pour le pays. Or, il est confronté à un dilemme difficile : en répondant aux demandes de ce secteur, il détruit indirectement le littoral dont les touristes viennent justement profiter.

Les entreprises de construction se font concurrence pour répondre aux besoins en nouveaux logements, hôtels, routes et infrastructures. Au Maroc, la moitié du sable utilisé chaque année dans le secteur de la construction est extraite illégalement de ses côtes.

Le béton (mélange de ciment, de granulats – sable ou gravier – et d’eau) est un matériau essentiel pour la construction des bâtiments et des routes. Le sable, qui représente les quatre cinquièmes du béton, est la ressource la plus consommée au monde.

Le sable, qui représente les quatre cinquièmes du béton, est la ressource la plus consommée au monde

Mais l’extraction rapide de sable a un impact dévastateur sur l’environnement. Les projets immobiliers nécessitant environ 30 millions de tonnes de sable par an, le sable côtier du littoral occidental et de la Méditerranée est extrait en quantités croissantes, légalement et illégalement, par des sociétés enregistrées et par des trafiquants. Elle entraîne l’apparition de paysages lunaires le long du littoral marocain et accroît la vulnérabilité des infrastructures côtières en cas de tempêtes et d’élévation du niveau de la mer.

En décembre 2020, la police marocaine a arrêté quatre personnes qui travaillaient pour une entreprise de construction impliquée dans l’extraction illégale de sable de plage près de Casablanca et dans l’exploitation d’une cimenterie non enregistrée. Ces arrestations ne sont pas des cas isolés. Elles mettent en évidence l’existence d’une industrie transnationale bien développée à laquelle seuls des efforts rigoureux de la part du gouvernement et de l’industrie pourront mettre fin.

L’extraction illégale de sable demeure un problème complexe aux multiples impacts et aspects qu’il faut régler. Il s’agit notamment de la mauvaise gouvernance, de la corruption et de la criminalité, en passant par la dégradation de l’environnement et de la biodiversité, le travail des enfants, la sécurité des bâtiments et le commerce transnational.

L’extraction illégale de sable est un problème complexe dont les impacts et les aspects sont multiples et doivent être réglés

La frontière entre extraction légale et illégale de sable est souvent floue et le passage de l’une à l’autre est facilité par la corruption qui impliquerait des fonctionnaires. Bien que les entreprises enregistrées disposent généralement d’une licence pour extraire le sable, elles dépassent souvent la zone d’extraction accordée, enlevant parfois jusqu’à dix fois la quantité déclarée.

L’industrie de l’extraction illégale de sable est gérée par un groupe criminel qui est le deuxième du pays en taille après la mafia marocaine de la drogue. Cette dernière serait également impliquée dans le trafic de sable, notamment dans la partie nord de la région du Rif, où l’on cultive le haschisch.

L’extraction illégale de sable marocain implique souvent des entreprises étrangères. Dans le sud de l’Espagne, par exemple, le sable marocain est utilisé par des entreprises pour la construction des hôtels et des restaurants. De même, des entreprises ibériques qui exercent leur activité dans l’enclave espagnole de Melilla (dans le nord-ouest du Maroc) utilisent du sable extrait illégalement de la province marocaine voisine de Nador.

C’est dans cette région que des camions, dont la plupart appartiennent à des fonctionnaires et à des politiciens marocains, transportent régulièrement du sable destiné à des projets de construction, qu’ils revendent à des entreprises espagnoles telles que SEROM. Pour compliquer davantage une situation déjà très difficile, la quantité de sable extraite n’est généralement pas déclarée, de sorte qu’il est difficile de suivre ces transactions.

Au Maroc, la moitié du sable utilisé chaque année dans le secteur de la construction est extraite illégalement des côtes du pays

Cette demande des entreprises espagnoles rend ce commerce très attractif pour les trafiquants de sable marocains. En l’absence d’une politique et d’une réglementation fermes, l’extraction et le trafic de cette précieuse marchandise continuera. Pour les contrer, la mise en place d’une coopération bilatérale est indispensable afin de renforcer les contrôles aux frontières. Les autorités espagnoles doivent également surveiller tout particulièrement les entreprises qui relèvent de leur compétence afin de contrôler le commerce et l’utilisation du sable marocain de contrebande.

Une législation spécifique a été adoptée pour réglementer le secteur. Depuis qu’il a accueilli la Conférence des Parties (CoP) en 2016, le gouvernement marocain accorde régulièrement la priorité à la protection de l’écosystème. En novembre 2017, un nouveau décret réglementant l’extraction de sable est entré en vigueur.

Bien que ces mesures soient positives, elles ne sont peut-être pas suffisantes car elles ne traitent pas spécifiquement de l’extraction illégale du sable au Maroc, ni des aspects transnationaux du trafic. Ce décret n’est qu’une solution partielle. En effet, il limite la quantité de sable extraite, mais pas les lieux d’extraction.

En outre, le décret ne vise que les entreprises enregistrées qui enfreignent les lois fiscales et environnementales. Ce qui incite des entreprises illégales à extraire du sable dans des zones que les entreprises enregistrées ne peuvent pas exploiter, ou à accepter des « contrats de sous-traitance » avec celles-ci. Ces contrats sont souvent des faux ou de simples accords verbaux.

Plus important encore, selon une source anonyme, les mesures réglementaires stipulées dans le décret ne sont tout simplement pas appliquées, en raison, notamment, de l’implication présumée d’officiers militaires de haut rang, de parlementaires et de fonctionnaires qui facilitent ce commerce et tirent profit de ces entreprises illégales lucratives.

Le fait de ne pas appliquer les décrets existants et de ne pas élaborer de solutions ciblées comporte des risques considérables. Alors que les criminels continuent à engranger des bénéfices, les plages marocaines risquent d’être définitivement défigurées. En conséquence, l’industrie du tourisme pourrait péricliter, érodant ainsi les écosystèmes économiques et environnementaux pour les personnes qui en dépendent.

Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal d’ENACT, ISS Dakar

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