26 Feb 2019

Les jeunes footballeurs d’Afrique pris dans un réseau de criminalité et d’abus

Les jeunes footballeurs d’Afrique pris dans un réseau de criminalité et d’abus

Des millions de jeunes Africains rêvent de faire carrière dans le football au niveau international, attendant avec impatience de rejoindre les rangs de joueurs tels que Samuel Eto’o, Didier Drogba ou Mohammed Salah. Nombre d’entre eux voient le football comme un instrument de mobilité et de reconnaissance sociale : une voie facile pour devenir riche et célèbre. Lorsque le joueur camerounais Samuel Eto’o a intégré le club russe d’Anzhi Makhachkala en 2011, il est devenu le joueur le mieux payé au monde, avec un salaire annuel d’environ 20 millions d’euros.

La recherche d’un eldorado grâce au sport a conduit des milliers de jeunes joueurs à se rendre en Europe, et,  le marché européen devenant progressivement saturé, vers l’Asie. Il serait plus facile d’entrer dans les clubs asiatiques qui « sont vus comme des tremplins permettant de réussir en Europe », selon un rapport paru dans Asia by Africa.

La recherche d’un eldorado grâce au sport a vu des milliers de jeunes joueurs se rendre en Europe, et, de plus en plus, en Asie

Il y a des milliers de footballeurs africains dans des pays comme le Népal, la Birmanie, le Laos, le Cambodge et la Mongolie. D’après l’ONG française Foot solidaire, environ 15 000 jeunes joueurs tentent de quitter le continent chaque année. Mais, très souvent et à divers moments du processus, ces joueurs sont exposés au crime organisé, aux abus et à l’exploitation, surtout lorsqu’ils sont aux mains d’agents peu scrupuleux.

L’activité des agents est censée être réglementée par la Fédération internationale de football association (FIFA), plus ou moins comme le sont les joueurs professionnels. Les fédérations nationales ont également pris des directives pour réglementer le transfert des joueurs professionnels. Cependant d’énormes intérêts financiers sont en jeu et, dans de nombreux cas, le monde du football semble être affecté par la mauvaise gouvernance et l’appât du gain. Au Cameroun, par exemple, la fédération nationale de football est mal dirigée et extrêmement corrompue.

Des éléments qui relèvent du crime organisé apparaissent à diverses étapes du processus de recrutement. Les jeunes joueurs sont habituellement identifiés par des découvreurs de talents sur des terrains poussiéreux dans des pays comme le Cameroun, le Nigeria, le Ghana, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Bien que ce phénomène remonte au milieu des années 1960, cette tendance a atteint son paroxysme au Cameroun ces cinq dernières années. D’après un analyste sportif camerounais, environ 400 jeunes joueurs s’exilent chaque année, dont plus de la moitié à destination de l’Asie.

Des milliers de footballeurs africains se rendent dans des pays comme le Népal, la Birmanie, le Laos, le Cambodge et la Mongolie

Les découvreurs de talents entament alors des négociations avec les joueurs et leurs familles, en leur faisant miroiter l’opportunité de rejoindre une équipe de football qui, dans certains cas, n’existe même pas. Habituellement, les parents des joueurs rémunèrent les agents. Puis débute le long processus de demande de passeport, d’acquisition d’un billet d’avion et de préparation du voyage vers l’étranger. Souvent, les agents et d’autres intermédiaires n’achètent qu’un billet aller. Dans certains cas, les joueurs ne peuvent pas payer leur retour et se retrouvent piégés, sans aucun moyen de rentrer chez eux par avion. D’autres dangers encore existent. D’après certains rapports, il y aurait eu plusieurs cas où les recrutements d’aspirants joueurs dans des équipes professionnelles auraient été supérieurs  au nombre de places disponibles. Les joueurs africains se seraient ainsi retrouvés sous-payés, voire même privés de rémunération.

Selon le Camerounais Jean-Claude Mbvoumin, ancien footballeur professionnel et fondateur de Foot solidaire, des agents locaux peu scrupuleux pourraient gagner entre 3 000 et 10 000 euros pour chaque jeune joueur recruté.

Dans de nombreux cas, le marché du football semble être affecté par la mauvaise gouvernance et l’appât du gain

Un jeune joueur interrogé à Yaoundé a expliqué à ENACT Observer que ses parents avaient offert 4 500 euros à un agent local pour qu’il se rende à Bahreïn. Dans son cas, c’est le contrat qui s’est révélé être un faux. L’analyste auquel nous avons parlé pense que près d’une centaine de faux agents opèrent à Yaoundé et à Douala, menant des activités extrêmement lucratives pouvant être assimilées à une forme de traite des êtres humains.

L’impact sur les familles est souvent dévastateur, les parents allant jusqu’à s’endetter pour payer les agents et acheter les billets d’avion. S’étant vu promettre une carrière très bien rémunérée et la réussite financière, les joueurs pensent pouvoir rembourser leur dette à court terme. Dans certains cas, des familles démunies ne sont plus à même d’envoyer les frères et sœurs du joueur à l’école.

« Cette question est un enjeu social », explique Mbvoumin. « Aujourd’hui, nous avons des criminels qui menacent à la fois le monde du football et les jeunes joueurs, donc il est important de travailler ensemble, avec la FIFA et les gouvernements africains les plus concernés ».

Dans le monde du football, des agents peu scrupuleux peuvent gagner 3 000 à 10 000 euros par jeune joueur recruté

Des liens ont été établis entre ce « commerce du muscle » et l’esclavage, l’immigration illégale et la prostitution, et il faut s’y attaquer à tous les niveaux. Il est évident qu’une campagne de sensibilisation de grande ampleur doit être entreprise afin que les jeunes joueurs et leur famille soient correctement informés des agissements de découvreurs de talents peu scrupuleux et des dangers qu’ils courent.

La société civile a incontestablement un rôle à tenir à cet égard. Les initiatives telles que Foot solidaire, qui a créé un centre d’information pour jeunes joueurs à Yaoundé, doivent être saluées et renforcées. De même, le gouvernement camerounais et la fédération nationale de football doivent consolider leurs réponses visant à détecter et à sanctionner les agents peu scrupuleux.

Phil René Oyono, Chercheur, ENACT, Afrique centrale  

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