11 Feb 2025

Human trafficking / Les élèves toujours visés par des enlèvements de masse au Nigéria

Face à l’évolution des motifs des kidnappings, le gouvernement cherche des réponses efficaces.

Après l’enlèvement par Boko Haram de 276 écolières à Chibok en 2014, qui a focalisé l’attention du monde entier, les kidnappings massifs d’élèves sont devenus un cauchemar récurrent au Nigéria. Et ces exactions, initialement dictées par des considérations idéologiques extrémistes, ont évolué en demandes de rançons orchestrées par des groupes criminels transfrontaliers.

Plus de 1 680 élèves, généralement âgés de 5 à 11 ans, ont été enlevés au Nigéria depuis Chibok. Rien qu’en 2024, Boko Haram a kidnappé plus de 400 personnes, principalement des femmes et des enfants des écoles, dans un camp de déplacés de l’État de Borno.

La même année, des activistes du groupe Ansarul Muslimina Fi Biladis Sudan (Ansaru), lié à Al-Qaïda, ont enlevé 287 élèves et membres du personnel d’une école de l’État de Kaduna et demandé une rançon d’un milliard de nairas (environ 600 000 dollars US) pour leur libération. Des hommes armés ont également kidnappé 17 élèves dans le dortoir d’un internat pour filles de l’État de Sokoto.

Les enlèvements massifs d’élèves au Nigéria sont le fait de réseaux extrémistes violents, de bandits et de groupes criminels transnationaux, indique Fidel Amakye du Conflict Research Consortium for Africa. Selon Alfred Abhulimhen-Iyoha, commentateur politique et juriste, ces acteurs profitent des déficiences de l’État et de la possibilité de trouver refuge de l’autre côté de la frontière pour enlever des élèves et des membres des équipes enseignantes contre rançon. Il s’agit, de fait, d’une activité criminelle lucrative et peu risquée.

Les motivations de ces enlèvements sont diverses et relèvent de facteurs distincts.

Fidel Amakye Owusu explique que des groupes terroristes tels que Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et Ansaru utilisent les kidnappings de masse pour affirmer leur domination sur les autorités et les communautés, brouillant ainsi les lignes entre criminalité et terrorisme.

Plus de 1 680 élèves, généralement âgés de 5 à 11 ans, ont été enlevés au Nigéria depuis Chibok

Pour Boko Haram, les enlèvements sont essentiellement un outil de terreur et d’intimidation. Pour des groupes aux structures complexes comme l’EIAO et Ansaru, ils constituent plutôt un moyen d’atteindre des objectifs stratégiques, notamment de générer des revenus grâce aux demandes de rançon et d’asseoir leur influence et leur pouvoir.

Les groupes criminels et les bandits ne sont pas motivés par des considérations idéologiques, mais trouvent dans les rançons leur principale source de revenus. Dans le contexte de la crise économique multiforme que traverse le Nigéria, les rançons représentent une activité lucrative pour les gangs violents.

Conscient de la gravité du problème, le président Bola Tinubu souligne que la pauvreté, la frustration et les difficultés économiques favorisent ces enlèvements, qui constituent à la fois une stratégie de survie et un levier de pouvoir.

Un agent de la Force mobile de la police a décrit à ENACT, sous couvert d’anonymat, le mode opératoire classique des ravisseurs. Ceux qui visent les écoles mettent en place une surveillance approfondie pour recueillir des informations essentielles. Ils étudient la configuration des établissements, les procédures de sécurité et les possibilités de s’échapper. Les informateurs, souvent des résidents locaux, d’anciens élèves ou des membres du personnel corrompus, fournissent des renseignements internes qui facilitent la planification et l’exécution des enlèvements.

Pendant l’opération, les kidnappeurs misent sur la force brute, la rapidité et la peur. « Équipés d’armes à feu et d’explosifs, des groupes de 20 à 50 hommes envahissent les écoles à des heures vulnérables, généralement la nuit ou tôt le matin. Ils arrivent sur des motos ou dans des pickups, maîtrisent les gardes non armés, tirent des coups de feu et déclenchent des explosions pour susciter la terreur », raconte l’agent de police.

Les enlèvements récurrents ont augmenté l’absentéisme : un enfant nigérian sur trois n’allait pas à l’école en 2022

Toute résistance se heurte à une force meurtrière. Les élèves, les enseignants et le personnel sont rassemblés en groupes et forcés de marcher hors de l’établissement ou embarqués dans des véhicules qui attendent. Les victimes sont ensuite conduites vers des cachettes difficiles d’accès dans des forêts denses, des zones de montagne ou des villages abandonnés, ce qui complique les opérations de sauvetage. Les bois des États de Zamfara, Katsina, Kaduna et Niger constituent ainsi des refuges de choix. 

Selon l’agent de police, ces zones échappant au contrôle des autorités sont devenues des repaires stratégiques pour les groupes armés, les bandits et les insurgés.

Lorsque les otages sont en lieu sûr, les ravisseurs entament des négociations pour obtenir une rançon en utilisant des téléphones jetables et des canaux de communication cryptés. Les familles désespérées réunissent souvent leurs ressources ou organisent des collectes de fonds pour payer les rançons en espèces ou en nature. Il arrive également que des agences de l’État ou des intermédiaires facilitent ou négocient les paiements, même si ces transactions sont souvent secrètes.

Les fonds sont généralement transmis par des circuits informels, notamment des remises d’espèces, des hawalas ou des intermédiaires, afin de garantir l’anonymat et la sécurité.

Cette entreprise lucrative a fait des enlèvements d’écoliers une industrie criminelle à caractère commercial, ce qui aggrave encore la crise sécuritaire et déstabilise le système éducatif du Nigéria. Les enlèvements massifs récurrents ont augmenté l’absentéisme dans les écoles : selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), un enfant nigérian sur trois n’allait pas à l’école en 2022.

Les ressources limitées, la mauvaise coordination et le terrain difficile compliquent les opérations de sauvetage

Dans son discours d’investiture du 29 mai 2023, puis lors du 10e anniversaire de l’enlèvement des filles de Chibok, Bola Tinubu a proclamé sa volonté de mettre fin aux rançons, promettant d’augmenter le « coût » pour les auteurs de ces actes. Il s’est engagé à améliorer la collecte de renseignements, à mieux faire appliquer la loi et à déployer des technologies de surveillance sophistiquées afin d’appréhender et de poursuivre rapidement les ravisseurs, en les condamnant à des sanctions plus sévères.

Si le gouvernement nigérian a mis en œuvre différentes stratégies pour lutter contre les enlèvements dans les écoles, les détracteurs jugent ces efforts réactifs, court-termistes et inefficaces. Les principales mesures incluent des missions de sauvetage menées par l’armée, la négociation des rançons (avant l’entrée en fonction du gouvernement actuel) et le renforcement de la sécurité dans les écoles.

Certaines opérations de sauvetage dirigées par les services de renseignements ont permis de libérer des élèves. Cependant, les ressources limitées, la mauvaise coordination et le terrain difficile compliquent leur déroulement, surtout dans les régions reculées où les enlèvements sont fréquents.

Bien que le Nigéria ait entériné la Déclaration sur la sécurité dans les écoles en 2015, sa mise en œuvre au niveau de l’État et des communautés laisse à désirer, ce qui rend les écoles rurales particulièrement vulnérables.

La persistance de la crise des enlèvements au Nigéria n’est pas due à l’absence de lois antikidnapping à l’échelle fédérale et locale, mais à leur application insuffisante. Il est essentiel d’accorder une plus grande attention aux réalités systémiques qui favorisent le banditisme et aux mesures de sécurité préventives.

Feyi Ogunade, coordonnateur de l’Observatoire régional du crime organisé, Afrique de l’Ouest, ENACT, ISS

Image : Emmanuel Buba / AFP

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