22 Jan 2020

Cross-border smuggling / Le plus grand scandale du bois au Gabon peut-il sauver son secteur forestier ?

L’engagement direct et ouvert avec la Chine doit se produire dans le cadre de la lutte contre la corruption dans la fonction publique.

En février 2019, les autorités du Port Owendo de Libreville au Gabon ont saisi 392 conteneurs de kevazingo, un précieux bois de rose également connu sous le nom de bubinga au Cameroun. Le Gabon a interdit la coupe d’arbres Kevazingo en mars 2018, bien qu’une lacune dans la loi permette la vente et l’exportation des arbres tombés abandonnés – laissés sur le sol – pendant au moins six mois ou saisis auprès de bûcherons illégaux.

Le kevazingo est utilisé dans la fabrication de meubles de haut de gamme qui peuvent se vendre jusqu’à 1 million de dollars américains sur les marchés asiatiques comme la Chine ou le Japon. Le bois, adoré par les groupes autochtones dans tout le Gabon, figure également sur la liste de l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Il s’agit notamment d’espèces qui ne sont pas nécessairement menacées d’extinction mais dont le commerce doit être contrôlé pour assurer leur survie.

La cargaison illégale – d’une valeur estimée à 252 millions de dollars américains – a été découverte dans les dépôts de deux sociétés chinoises dans le port. Le scandale a entraîné la suspension et le remplacement de l’équipe chargée du contrôle du chargement des cargaisons dans le port, accusée de complicité dans la contrebande de bois.

Mais, deux mois plus tard, en avril, 353 des 392 conteneurs avaient disparu alors qu’ils étaient sous la garde du ministère de la justice dans le port. Bien que 200 conteneurs aient été récupérés quelques jours plus tard sur les propriétés de compagnies maritimes voisines, les 153 autres sont toujours portés disparus.

Les autorités chinoises sont intervenues afin de collaborer avec le gouvernement gabonais dans l’assainissement du secteur forestierFin août, le gouvernement gabonais a annoncé que 135 conteneurs représentant 1 500m3 d’une valeur de 69 millions de dollars américains seraient transférés au parc à bois, transformés en bois légal autorisé pour la vente et vendus aux enchères.

Plusieurs fonctionnaires ont été suspendus à la suite de ce scandale. Le Président Ali Bongo Ondimba a limogé son vice-président, Pierre Claver Maganga Moussavou, et son ministre des forêts, Guy-Bertrand Mapangou, sans lier leur licenciement au scandale. La signature de Mapangou a été retrouvée sur les documents autorisant l’exportation des conteneurs. Il a déclaré que les documents étaient faux.

Bongo a remplacé Mapangou par Lee White, un écologiste et défenseur de l’environnement britannique – qui a longtemps résidé au Gabon – au ministère des Forêts, des Océans, de l’Environnement et du Changement climatique en juin 2019.

Alors que les enquêtes sur la contrebande de kevazingo étaient en cours, l’une des premières mesures de White en tant que nouveau ministre a été de suspendre les exportations de tous les produits du bois. Il a également interdit le remplissage des conteneurs par des produits en bois en dehors du Port d’Owendo. Cette mesure a durement touché le secteur forestier gabonais. Pendant plusieurs mois, les entrepôts ont débordé de bois transformé, et les entreprises ont été obligées de licencier des employés.

Les experts de l’industrie disent qu’il faudra des mois pour que le secteur puisse fonctionner selon des conditions normales. Cela affectera également le PIB du Gabon. Plus important encore, le scandale a porté atteinte à la réputation de l’industrie forestière gabonaise, tant au niveau local qu’international. La confiance des acheteurs dans les produits du bois gabonais a disparu avec des soupçons que tous le bois du Gabon proviennent d’exploitation illégale.

Le Kevazingo est utilisé dans la fabrication de meubles de haut de gamme qui peuvent se vendre jusqu’à 1 million de dollars américains sur les marchés asiatiquesLe principal suspect dans le scandale de février est François Wu, le propriétaire chinois de 3C Transit, une société connue pour l’étiquetage du bois non traité comme traité (l’exportation du bois non transformé est interdite au Gabon) et l’étiquetage de kevazingo comme okoumé, une espèce moins protégée. Bien que Wu ait nié son implication dans l’affaire, il a quitté le Gabon après la saisie des 392 conteneurs et n’est pas revenu.

Mais l’implication chinoise pourrait également sauver l’industrie forestière gabonaise. Au fil des ans le rôle des opérateurs chinois dans le secteur a augmenté de façon exponentielle. Les entreprises chinoises sont aujourd’hui propriétaires de plus 25% de la surface octroyée à l’exploitation forestière au Gabon. Le pays exige que la transformation du bois se fasse à l’intérieur de ses frontières, plutôt que d’exporter le bois brut qui apporterait une valeur ajoutée à l’extérieur du pays.

Ainsi, le bois transformé au Gabon est passé de 200 000m3 à 700 000m3 en mois de 10 ans. Les entreprises chinoises sont les principaux opérateurs dans ce secteur. En termes d’emploi au Gabon, cela représente une augmentation de 3 000 emplois en 2010 à 13 000 en 2017. Les opérateurs chinois possèdent également 110 des 150 entrepôts de transformation du bois au Gabon. Au niveau international, la Chine est le plus grand importateur de produits du bois du Gabon.

Face à des enjeux aussi importants pour la Chine, l’Union forestière des industriels asiatiques au Gabon (UFIAG) a promptement réagi au scandale kezavingo. Elle a pris deux importantes décisions afin d’essayer de clarifier que quelques mauvais œufs ne représentent pas toute la société. Elle a d’abord déclaré que tout membre de la fédération reconnu coupable d’activités illégales serait expulsé. Ensuite, elle a déclaré que les entreprises forestières impliquées dans des activités illégales, quelle que soit leur affiliation à l’UFIAG, seraient dévoilées.

Le Gabon a interdit la coupe d’arbres kevazingo en mars 2018 mais il y a des lacunesLes autorités chinoises au plus haut niveau sont intervenues pour collaborer avec le gouvernement gabonais en vue de nettoyer le secteur forestier. White a adopté une approche pragmatique dans l’engagement avec les autorités et les opérateurs chinois, alors que les enquêtes judiciaires sur le kevazingo se poursuivent. Depuis sa nomination, M. White a multiplié les efforts visant à travailler directement avec des interlocuteurs chinois.

Le 4 septembre 2019, il a rencontré l’ambassadeur de la Chine au Gabon et un représentant de la Commission nationale de l’écologie. Ensemble, ils ont signé un nouveau partenariat destiné à permettre la bonne gouvernance des forêts et des zones protégées.

Dans la semaine du 26 octobre 2019, il a rencontré son homologue chinois Zhang Jianlong, le ministre de l'Administration nationale des forêts et des Prairies ainsi que l’ambassadeur du Gabon en Chine, M. Baudelaire Ndong Ella. Ils ont discuté du renforcement de la coopération sino-gabonaise dans le secteur du bois, de la recherche et de la transformation durable des ressources forestières.

En février 2019, les autorités du Port d’Owendo de Libreville au Gabon ont saisi 392 conteneurs de kevazingoToutefois, le commerce illégal de kevazingo au Gabon existait avant que les chinois ne dominent le marché. Le premier commerce illégal est apparu en 2012 et les réseaux criminels internationaux sont devenus plus apparents en 2015.

Le Gabon est un pays où ‘il est rare de trouver une entreprise d’exploitation forestière qui est complètement propre’, selon Luc Mathot de l’organisation non gouvernementale Justice Conservation. La corruption des fonctionnaires pour couvrir les activités frauduleuses de certains exploitants forestiers est courante, comme le montre un rapport de l’ONG britannique Environmental Investigation Agency.

La stratégie de White de l’engagement direct et ouvert avec la Chine pourrait bien sauver le secteur forestier du Gabon. Mais elle doit être réalisée conjointement avec la lute contre la corruption dans la fonction publique.

Agnes Ebo’o, Coordinatrice de l’Observatoire régional ENACT de la criminalité organisée – Afrique centrale, ISS

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