Abondant le long des côtes de la Méditerranée, le corail rouge est menacé d’extinction pour plusieurs raisons, notamment la modernisation des méthodes de récolte, mais aussi le vol, la destruction de son habitat et le changement climatique. L’Algérie possède la plus importante réserve d’ « or rouge » et figure parmi les principaux exploitants commerciaux. Son prix peut atteindre les 5 000 euros le kg.
D’une couleur allant du rose pâle au rouge profond, cette précieuse marchandise était utilisée dans l’Antiquité par l’Égypte, la Grèce et Rome dans la fabrication des bijoux. On en a retrouvé des traces sur des sites archéologiques à travers toute l’Europe, ornant des œuvres d’art, des sculptures et des objets décoratifs.
Le corail rouge est une espèce qui joue un rôle important dans l’écosystème méditerranéen. Après la conquête de l’Algérie par la France en 1830, le commerce du corail a joué un rôle essentiel dans l’installation des Européens et la croissance économique du pays. Aujourd’hui, le corail rouge est également utilisé pour fabriquer des vis d’avion et de fusée car ses propriétés lui permettent de résister à de fortes pressions atmosphériques.
Entre 2001 et 2021, un moratoire a été instauré sur la récolte du corail afin d’empêcher sa disparition du littoral algérien. Cette suspension a fait grimper les prix en flèche, ce qui a encouragé la récolte illégale et le trafic de corail rouge, comme l’explique Reda Djenane, président de la Commission nationale algérienne de la pêche et de l’aquaculture.
Depuis 2000, les garde-côtes ont saisi plus de 15 tonnes de corail rouge récolté illégalement. En 2019, la police tunisienne a arrêté sept Tunisiens, deux Espagnols et un Algérien qui tentaient de faire passer de l’Algérie à la Tunisie près de 700 kg de corail rouge d’une valeur de près de 2 millions d’euros. Chaque année, ce sont environ trois tonnes de corail qui font l’objet d’un trafic au départ de l’Algérie pour être vendues à Torre del Greco. Cette ville italienne, située près de Naples, est le centre mondial de transformation du corail rouge.
Environ 80 % du corail rouge pêché en Algérie est exporté illégalement vers l’Europe, privant ainsi l’État de recettes. Un scientifique ayant demandé à conserver l’anonymat a déclaré au projet ENACT que la récolte illégale dans les eaux algériennes désavantageait également d’autres pays et des îles, comme la Corse, où la pêche au corail rouge est réglementée.
Depuis la levée du moratoire sur la récolte du corail rouge en 2021, sa collecte et sa vente sont réglementées. Les pêcheurs titulaires d’un permis doivent vendre 70 % de leur récolte à l’entreprise publique AGENOR. Un maximum de 3 000 kg peut être récolté chaque année dans certaines zones clairement définies.
Les zones de pêche et le transport annuel du corail sont également contrôlés. Son exploitation est autorisée pour une durée de cinq ans, après quoi les zones doivent être mises en jachère pendant au moins 20 ans afin de permettre à la ressource de se régénérer. L’espèce ne croît que de 0,5 mm par an, comme le précise ce scientifique, et les colonies peuvent mettre un siècle à se développer en de magnifiques structures ramifiées.
En légalisant la pêche du corail rouge, l’Algérie espère en contrôler la récolte illicite et ses conséquences néfastes. Les détracteurs de la légalisation font valoir que les pêcheurs pourraient ne pas déclarer la totalité de leur récolte et vendre l’excédent sur le marché noir à des prix excessifs. Ils craignent également que le braconnage ne soit remplacé par une forme de pillage approuvé par l’État.
La sauvegarde du corail rouge nécessite un effort mondial qui tienne compte de la croissance de sa valeur industrielle et commerciale et de son rôle de soutien des écosystèmes marins méditerranéens.
En 1987, l’Espagne avait tenté sans succès d’inscrire le corail rouge sur la liste de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), ce qui aurait permis d’en contrôler le commerce international. Vingt ans plus tard, les États-Unis et l’Union européenne s’y sont également cassé les dents. C’est ainsi que certains pays ont pris leurs propres décisions concernant la protection et le commerce du corail rouge.
L’Espagne a imposé un moratoire de deux ans sur l’exploitation du corail en 2020. En France, les pêcheurs doivent demander à être enregistrés et les plongeurs doivent détenir un certificat. Le nombre de permis de pêche accordés chaque année fait l’objet d’un quota, et les pêcheurs doivent déclarer la totalité de leurs récoltes.
En Italie, une nouvelle loi détermine les zones et les périodes de l’année où la pêche du corail rouge est autorisée, les quantités d’extraction quotidiennes et les ports où il peut être déchargé. L’Algérie pourrait prendre pour modèle l’approche italienne. Selon Alessandro Cau, professeur adjoint d’écologie marine à l’université de Cagliari, les données confirment que la pêche du corail en Italie est durable, et que les récifs coralliens se régénèrent le long de son littoral méditerranéen.
Pour renforcer sa législation, l’Algérie pourrait s’inspirer des recommandations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui interdisent la récolte du corail rouge à moins de 50 m de fond. Selon Cau, il est également important de limiter le nombre de permis de pêche accordés.
Mais le trafic de corail rouge n’est pas seulement une préoccupation nationale : c’est une activité criminelle transnationale. Cela signifie qu’une coordination, une législation et des financements doivent être mis en place au niveau international pour endiguer le commerce illégal de corail rouge, du lieu de pêche au lieu de vente.
Il faut impérativement faire en sorte que le corail rouge récolté illégalement soit difficile à vendre. Le corail de contrebande étant cédé sous forme de matière première, les pays doivent se doter de mécanismes de traçabilité tout au long de la chaîne de récolte et de production. Cela est vital, notamment là où un marché déséquilibré met face à face les pays qui réglementent et limitent la pêche du corail rouge et ceux où le braconnage est répandu.
Ainsi, il faudra modifier la réglementation algérienne pour exiger un certificat garantissant que le corail est pêché conformément à la législation nationale ou régionale (en Méditerranée). Ceci est essentiel pour une récolte durable et la mise en place d’un plan de gestion unifié du corail rouge dans toute la Méditerranée.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, Observatoire régional du crime organisé en Afrique de l’Ouest, projet ENACT, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad