25 Jul 2023

Flora / Le conflit en RCA favorise l’exploitation forestière illégale et le trafic de bois

La communauté internationale doit appuyer les sanctions visant les acteurs du trafic de bois provenant de la République centrafricaine.

En République centrafricaine (RCA), la forêt couvre près de 37 % des 62 millions d’hectares de superficie nationale. Le secteur forestier, qui représente 13 % des recettes d’exportation du pays, est une source majeure de revenus et d’emplois.

Cependant, cette abondante forêt est aussi le théâtre d’une vaste criminalité organisée : exploitation forestière illégale, trafic de bois, trafic de bois de chauffe pour produire du charbon. Chaque acte criminel contribue à une déforestation dévastatrice dont le taux annuel avoisine 1 % de la couverture totale de la forêt tropicale. L’essence la plus recherchée est le sapele, un bois dur de couleur brun-rougeâtre couramment utilisé pour la fabrication de meubles, de placages décoratifs et d’instruments de musique.

Des trafiquants provenant de la République démocratique du Congo, du Congo-Brazzaville, du Cameroun, du Tchad, du Soudan et du Soudan du Sud forment la base de cette chaîne criminelle, comme le révèle une récente évaluation d’ENACT. Cependant, les chefs sont des ressortissants originaires de pays asiatiques. Si l’exploitation forestière illégale se déroule sur le territoire centrafricain, le bois et les produits illicites transitent par les pays voisins via divers couloirs routiers et fluviaux.

Selon des acteurs étatiques et non étatiques ayant témoigné auprès d’ENACT sous couvert d’anonymat, le commerce illicite de bois est intensifié par l’application insatisfaisante de la loi, la porosité des frontières et la hausse de la demande transnationale de produits dérivés du bois en provenance de la RCA.

Des sources de la société civile s’inquiètent de la corrélation entre le conflit qui marque le pays et l’exploitation forestière

Également favorisés par l’instabilité prolongée dans le pays, l’exploitation forestière illégale et le trafic de bois ont grandement contribué au financement du conflit qui a sévi en RCA. Les exportations illicites de bois ont attiré un grand nombre de milices et de groupes armés désireux d’exploiter ces richesses pour financer l’achat d’armes dans une lutte de pouvoir qui a conduit à l’effondrement de l’État. Ces hostilités ont décimé la population et des centaines de milliers de personnes ont dû quitter leur domicile.

En mars 2013, une coalition de rebelles de la Séléka a pris le pouvoir en destituant le président de l’époque, François Bozizé. Selon un rapport d’enquête de Global Witness, sous le régime de la Séléka, des sociétés commerciales chinoises, françaises et libanaises avaient continué à commercialiser illégalement d’importants volumes de bois en provenance de la forêt tropicale centrafricaine. Des milliers de civils innocents ont été torturés et tués par les rebelles.

Le rapport souligne que ces sociétés ont versé environ 3,4 millions d’euros pour des services de « protection », ce qui a permis à la Séléka de maintenir des groupes armés sur le terrain et de se procurer des armes.

Les entités étrangères ont pour habitude de faire main basse sur les ressources naturelles de la RCA, mais la récente incursion du groupe russe Wagner, une société militaire privée controversée, a ramené ces activités criminelles sur le devant de la scène. Cette situation a eu des conséquences dévastatrices pour les habitants des régions rurales et pour l’environnement au sein des forêts tropicales de la RCA. Selon le projet Armed Conflict Location & Event Data (ACLED), 180 événements impliquant des mercenaires de Wagner et visant des civils ont été enregistrés depuis décembre 2020.

La corruption soutenue par l’État dans le secteur forestier est une question complexe en République centrafricaine

Selon un rapport d’enquête, des sources issues de la société civile s’inquiètent des liens entre le conflit prolongé et l’exploitation forestière en RCA. Pour pouvoir exploiter le bois à un coût presque nul, les mercenaires ont commis des violations flagrantes des droits humains, notamment en envahissant et en « vidant » des villes et des villages. Ces acteurs étrangers sont donc en partie responsables de l’instabilité dans les zones de forêt tropicale.

La situation repose pour l’essentiel sur un accord tripartite entre certains fonctionnaires, le groupe Wagner et une entreprise basée en Russie et enregistrée en RCA. Cette entreprise serait dirigée par un responsable local qui travaille avec des mandataires russes pour vendre du bois récolté en RCA grâce à l’octroi de concessions forestières frauduleuses.

L’armée centrafricaine a lancé des opérations militaires, appuyées par le groupe Wagner et destinées à déloger les forces rebelles de plusieurs villes de la région de la Lobaye et du village de Ndanga. Cependant, le rapport d’enquête confirme que les mercenaires de Wagner contrôlaient déjà la ville de Boda et ses environs au moment où l’entreprise basée en Russie s’est vu attribuer la concession forestière. L’opération militaire, aurait, semble-t-il fourni une protection déguisée à l’entreprise d’exploitation de bois.

Ces actes répréhensibles sont commis dans un climat de corruption et de complicité. En RCA et dans la plupart des pays africains à fort couvert forestier, l’exploitation illégale de bois est souvent facilitée par des concessions frauduleuses accordées par les autorités. Les licences normalement destinées aux entreprises locales sont octroyées à de grandes sociétés commerciales étrangères. Ensuite, ces entreprises étrangères opèrent en toute impunité.

Il faut une concurrence plus équitable pour garantir la participation des entreprises locales au secteur forestier

Le groupe Wagner et ses partenaires commerciaux pourraient ainsi générer un revenu de 890 millions de dollars US sur les marchés internationaux (en supposant que 30 % de la concession est exploitée). Selon le rapport, les exportations de bois constitueraient une activité rentable pour le groupe Wagner et un moyen de réinjecter des fonds dans une Russie frappée par les sanctions.

La corruption soutenue par l’État dans le secteur forestier est une question complexe en RCA. Les groupes internationaux de défense de l’environnement peuvent cependant agir en s’associant avec la population et les responsables politiques favorables à une réforme afin d’impulser les changements nécessaires.

Les mesures d’atténuation passent par l’amélioration de la transparence, le renforcement du contrôle exercé par le gouvernement et la pleine participation à la mise en place des concessions forestières. Il faudrait également promouvoir des réformes des lois et des processus et assurer une concurrence plus équitable afin de garantir la participation des entreprises locales.

Pour commencer, les responsables aux plus hauts niveaux de l’État doivent privilégier l’éradication de la corruption dans le secteur de l’exploitation forestière et faire preuve de volonté politique à cet égard. Les individus qui exploitent illégalement la forêt et leurs associés, protégés par les pouvoirs publics, doivent être les premiers visés. Au Gabon, par exemple, le vice-président et le ministre des Forêts ont été limogés en 2019 à la suite d’une affaire de corruption et d’exploitation forestière illégale.

Cependant, le plus gros travail consiste à renforcer l’application des règles afin de contrer l’intervention d’acteurs étrangers et de personnes facilitant l’exploitation forestière illégale et le trafic de bois en RCA. Pour se débarrasser des entités étrangères contrevenantes, les groupes internationaux de défense des droits doivent soutenir la RCA en appuyant l’adoption de sanctions à l’encontre de ces entreprises au sein du marché mondial du bois.

Oluwole Ojewale, coordonnateur de l’Observatoire régional du crime organisé en Afrique centrale

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