30 Oct 2023

Fauna / L'Afrique du Sud peut-elle maitriser le trafic de pangolins ?

Des signes inquiétants montrent que le commerce illégal de pangolins est de plus en plus organisé et implique des professionnels et des fonctionnaires.

Lorsqu'on lui demande quelle est son histoire de pangolin préférée, François Meyer, spécialiste de la remise en liberté de ces animaux, raconte celle d'Ally. Après avoir été sauvée du commerce illégal, Ally, une femelle pangolin de Temminck, a été réintroduite dans la nature et a donné naissance à un petit, Pod.

L'année suivante, elle a eu un deuxième petit, Ray, ainsi nommé en l'honneur du professeur Ray Jansen, expert en pangolins à l'université de technologie de Tshwane, en Afrique du Sud, et appartenant au groupe de spécialistes des pangolins de la commission de la sauvegarde des espèces de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Les réussites comme celle d'Ally sont l'aboutissement des efforts déployés pour assurer la survie des pangolins sauvés du commerce illégal et pour traduire les coupables en justice.

Le pangolin de Temminck, seule espèce indigène d'Afrique du Sud, est classé au niveau mondial comme vulnérable à l'extinction. Ces créatures douces et insaisissables sont difficiles à étudier, mais les recherches indiquent que leur nombre diminue, principalement en raison du commerce international illégal. Elles sont également menacées par la destruction de leur habitat et les clôtures électriques.

Les pangolins étaient utilisés comme viande de brousse dans certains pays africains, leurs écailles étant peu employées dans les pratiques culturelles traditionnelles. Selon Jansen, l'utilisation des pangolins en Afrique du Sud à des fins culturelles est considérée comme durable. La menace qui pèse sur son existence est due au commerce illégal des écailles de pangolins utilisées dans la médecine traditionnelle chinoise.

D'importantes cargaisons de produits de la faune et de la flore sauvages proviennent d’Afrique du Sud

Le commerce international des pangolins et de leurs dérivés, comme les écailles, est interdit au niveau mondial. Les pangolins sont protégés par la loi sud-africaine qui en conditionne la chasse, la capture, le transport, la vente, l'achat, l'importation et l'exportation à la possession d'un permis.

Cependant, l'interdiction n'a pas contribué à réduire son commerce au niveau mondial. La consommation non durable de pangolins asiatiques a probablement entraîné une augmentation de l'approvisionnement en espèces africaines. La plupart des cargaisons saisies en Asie proviennent d'Afrique, en particulier d'Afrique centrale et occidentale. Les écailles de pangolins sont récupérées et expédiées principalement à partir des ports nigérians, à destination de la Chine et du Viêt Nam. Les saisies de pangolins entiers en provenance d'Afrique sont rares, même si leur viande est considérée comme un mets de choix en Asie.

L'Afrique du Sud est un cas isolé dans ce commerce mondial en raison du nombre limité de saisies de pangolins. Jansen a déclaré au projet ENACT sur la criminalité organisée qu'entre janvier et août 2023, une trentaine de pangolins vivants y avaient été saisis, ce qui correspond aux chiffres des années précédentes.

La plupart de ces saisies ont été menées par une équipe spéciale composée de différentes entités chargées de l'application de la loi, souvent sur la base d'informations données par la population. Elles ont été effectuées en grande partie dans la province de Limpopo, d'où proviennent souvent les pangolins. Dans certains cas, les pangolins ont franchi la frontière du Mozambique, du Botswana et du Zimbabwe.

Selon Jansen, ce mouvement transfrontalier résulterait de la volonté d'échapper aux sanctions sévères imposées dans les pays voisins, ou par la perception que le pangolin se vend mieux en Afrique du Sud. Cela explique pourquoi de nombreuses saisies ont été effectuées dans des centres économiques comme Gauteng. La plupart des arrestations concernent des ressortissants étrangers originaires entre autres du Zimbabwe et du Mozambique.

Les suspects possèdent des entreprises et des véhicules et font le commerce d'autres produits illégaux

Bien que ces incidents isolés ne soient pas comparables aux saisies de conteneurs refermant plusieurs tonnes d'écailles de pangolin en provenance d'Afrique centrale et de l'Ouest, les experts estiment que l'évolution des tendances en Afrique du Sud peut être préoccupante.

Jansen et Meyer s'accordent à dire que les ventes de pangolins étaient à l'origine essentiellement opportunistes, effectuées par des membres de communautés appauvries cherchant à gagner rapidement de l'argent. Aujourd'hui, cependant, les suspects sont souvent des propriétaires d'entreprises et de véhicules et sont impliqués dans d'autres commerces illégaux. Des policiers et des fonctionnaires ont également été arrêtés. Une autre tendance émergente est l'augmentation des saisies de peaux de pangolins dans la province du Cap Nord et en Namibie.

Sauver les pangolins des trafiquants n'est que la première étape d'une série d'efforts visant à soigner les pangolins saisis et à les réintroduire dans la nature. Les pangolins sont sensibles au stress pendant la capture et le trafic, et souffrent souvent de troubles psychologiques et de maladies bien plus graves que les blessures physiques.

Après avoir été confisqués par la police, les pangolins sont généralement pris en charge par des organisations non gouvernementales qui leur administrent des soins et réadaptent ceux qui survivent. Les pangolins entrent ensuite dans une période de remise en liberté facilitée et surveillée jusqu'à ce qu'ils soient complètement réinsérés dans la nature.

Meyer explique qu'à force d'essais et d'erreurs, un groupe de sauveteurs passionnés de pangolins a mis au point les meilleures pratiques pour ramener les animaux du commerce dans le veld. Ils ont formé leurs homologues, ce qui a permis à de nombreuses institutions de s'occuper des pangolins sauvés.

L'augmentation des saisies de pangolins en provenance du Cap Nord et de Namibie est une nouvelle tendance

Depuis la prise de conscience de ce commerce illégal, les peines prononcées sont de plus en plus lourdes. Le nombre de saisies est stable, mais c'était déjà le cas pour les rhinocéros avant que la chasse illégale ne prenne rapidement de l'ampleur. Alors que la plupart des efforts de répression se concentrent sur la saisie des individus, il est possible que les animaux soient transportés en toute discrétion à plus grande échelle depuis l'Afrique du Sud.

L'Afrique du Sud sert déjà de point de sortie pour d'importantes cargaisons de produits de la faune et de la flore sauvages, tels que l'ivoire et l'ormeau. Mais, comme c'est souvent le cas dans les enquêtes sur la criminalité organisée, Jansen constate qu'il est difficile d'infiltrer les réseaux criminels responsables des grandes opérations d'exportation.

Si le commerce devient effectivement plus organisé et implique des professionnels et des fonctionnaires, la porte à la corruption est ouverte, comme cela s'est produit dans le commerce de la corne de rhinocéros et de l'ormeau. La contrebande de pangolins pourrait ainsi se développer et s'enraciner en Afrique du Sud. Étant donné que le commerce illégal mondial ne montre aucun signe de ralentissement, le pays doit être prêt à empêcher cette expansion.

Meyer et Jansen soulignent l'urgence de faire connaître des espèces uniques comme les pangolins, de les maintenir en vie dans la culture populaire afin que l'Afrique du Sud ne vende pas ses ressources naturelles à l’extérieur avant d'avoir réalisé ce qu'elle a perdu.

Il existe des relations de travail informelles efficaces entre les différentes entités qui luttent contre le commerce illicite et s'occupent des pangolins. Cependant, l'Afrique du Sud a besoin d'une intervention similaire à la stratégie de réponse nationale pour lutter contre un commerce illégal juteux qui est en plein essor. Cette stratégie permettrait de coordonner les activités des acteurs étatiques et non étatiques et de traiter de manière globale le commerce des pangolins, ses causes et ses effets.

Dr Carina Bruwer, chercheuse principale, ENACT, ISS Pretoria

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