17 Dec 2021

IFFs and money laundering / L'affaire mauricienne rappelle que l'Afrique doit protéger ses lanceurs d'alerte

Comment peut-on s'attendre à ce que les gens dénoncent la corruption et d'autres crimes s'ils ne sont pas protégés ?

Le 18 octobre 2020, le cadavre à moitié calciné d'un homme a été découvert dans des champs de canne à sucre, le long d'un ruisseau, près du village de Moka, à Maurice. Cet incident a d'abord été considéré comme un énième meurtre isolé sur cette île idyllique.

Toutefois, au fil de l'enquête, la victime a été identifiée comme étant Soopramanien Kistnen, un entrepreneur en bâtiment et ancien membre du Mouvement socialiste militant, la majorité de la coalition au pouvoir dans le pays.

La police avait initialement conclu à un suicide, mais après une enquête plus approfondie et une pression de la société civile, il a été déterminé qu'il s'agissait d'un meurtre. Par la suite, il s'est avéré qu'avant sa mort, Kistnen était sur le point de révéler un scandale de corruption concernant l'achat par le gouvernement d'équipements de protection publics. Il semblerait donc que la mort de Kistnen ne soit pas un crime isolé, mais plutôt une indication des dangers encourus par toute personne désireuse de dénoncer la corruption (ou tout autre type de crime).

Transparency International définit la dénonciation comme « la divulgation d'informations sur un acte répréhensible perçu au sein d'une organisation, ou sur le risque d'un tel acte, à des individus ou des entités présumés capables d'agir ». Il convient de souligner l'importance des lanceurs d'alerte pour faire la lumière sur des crimes complexes tels que la corruption, la criminalité organisée et le terrorisme. Ils fournissent des informations cruciales pour que les services de maintien de l'ordre puissent détecter et enquêter sur ces crimes, d'autant qu'ils sont majoritairement tenus secrets.

Les lanceurs d'alerte sont essentiels pour faire la lumière sur des crimes complexes tels que la corruption, la criminalité organisée et le terrorisme

Les lanceurs d'alerte sont confrontés à des risques divers. Certains sont licenciés et se retrouvent sans revenu et d'autres reçoivent des menaces à leur encontre et à l'encontre de leurs familles. Les cas les plus graves se caractérisent par la violence et, comme ce fut le cas pour Kistnen, peuvent mener à la mort. Ces risques sont accrus lorsque les informations divulguées impliquent des personnalités éminentes. Ces dernières ont la richesse et l'influence nécessaires pour nuire aux lanceurs d'alerte et à leurs proches, ou pour interférer dans les procédures judiciaires.

Compte tenu des risques et des conséquences souvent mortelles de la dénonciation, la décision de dévoiler la corruption peut être lourde de conséquences pour les lanceurs d'alerte. Ceux-ci fournissent des informations aux autorités et deviennent impliqués dans l'affaire judiciaire contre l'accusé en tant que témoins clés ; la protection des témoins est donc essentielle.

Malgré le rôle crucial qu'ils jouent dans la dénonciation de crimes complexes et les risques auxquels ils s'exposent, les lanceurs d'alerte sont peu protégés en Afrique. Peu de mesures sont destinées à assurer la sécurité des lanceurs d'alerte ou des témoins. Il s'agit notamment de se cacher, de déménager ou de changer d'identité, et d'assurer une protection policière permanente dans le cadre de programmes de protection des témoins.

L'importance de la protection des témoins est mise en évidence dans des instruments internationaux tels que la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) et la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (CNUCTO) et ses protocoles. Ces deux conventions demandent aux États « [d’]assurer une protection efficace contre des actes éventuels de représailles ou d’intimidation aux témoins ».

Peu de mesures ont été mises en place pour assurer la sécurité des lanceurs d'alerte ou des témoins

Bien que la protection des lanceurs d'alerte soit l'un des fondements d'un système de justice pénale efficace, les programmes de protection des témoins sont presque inexistants en Afrique. L'Afrique du Sud a été le premier pays du continent à élaborer une loi complète sur la protection des témoins en 1998. Pourtant, des événements tels que l'assassinat, l'année dernière, de Babita Deokaran, fonctionnaire d'un département provincial de la santé qui était un témoin crucial dans une affaire de corruption, remettent en question l'efficacité du système et des politiques sud-africaines en matière de lanceurs d'alerte.

Bien que Maurice ait ratifié la CNUCTO en 2003 et la CNUCC en 2004, le pays ne dispose pas de législation sur la protection des lanceurs d'alerte. La seule référence à une telle forme de protection figure à l'article 49 de la loi de 2002 sur la prévention de la corruption, qui accorde au lanceur d'alerte une immunité de responsabilité civile ou pénale. Il en résulte que les lanceurs d'alerte le font à leurs risques et périls, comme en témoigne l'affaire Kistnen.

L'élaboration et l'adoption d'une législation complète sur la protection des lanceurs d'alerte et la mise en œuvre de stratégies globales constitueraient un signal clair de la part du gouvernement mauricien que les prises de position visant à éradiquer la corruption dans le pays ont du poids.

Le recours aux articles 32 et 33 du guide technique de la CNUCC comme base ou cadre pourrait aider les législateurs à élaborer la loi. En outre, certains éléments de la loi sud-africaine sur la protection des divulgations de 2000 peuvent être pertinents dans le contexte mauricien.

Les pays tels que Maurice doivent protéger les lanceurs d'alerte actuels et futurs

Parmi les principaux aspects à prendre en considération figurent la clarification de termes tels que « témoin », « expert », « parents », et « personnes proches du témoin », les secteurs, entités et services couverts par la loi, la mise en place d'une protection physique adéquate contre les représailles ou intimidations potentielles et les accords avec d'autres États pour la réinstallation des lanceurs d'alerte.

L'État aurait besoin de fonds budgétaires pour assurer la protection des témoins de manière adéquate. En complément de la législation, un cadre et un système complets pour traiter les lanceurs d'alerte doivent être établis et institutionnalisés au sein du gouvernement.

L'élaboration d'un programme de protection des témoins doit répondre à certaines exigences. Il s'agit notamment d'un processus et d'une structure où les personnes sont et se sentent libres et en sécurité de communiquer des informations, et d'un processus et d'une structure par lesquels elles peuvent solliciter une protection. Il convient également de prévoir des procédures opérationnelles standard pour garantir une protection physique et psychologique efficace, ainsi qu'un ministère ou une agence chargée de leur protection (il peut s'agir de la police, du ministère public ou d'un dispositif conjoint).

L'agence compétente doit disposer d'équipes qualifiées et d'un financement adéquat pour s'acquitter efficacement de ses tâches. Une unité indépendante doit être créée pour superviser les pratiques et les résultats positifs continus de ce programme, ceci renforcera la crédibilité du programme et augmentera la confiance dans l'engagement de l'État à sanctionner la corruption. Un manuel doit être élaboré pour aider le secteur public à interpréter la législation pertinente et à mettre en œuvre les politiques correspondantes.

Pour encourager davantage les lanceurs d'alerte à se manifester, il est essentiel de les inciter, sous une forme ou une autre, à dénoncer la corruption, la criminalité organisée ou d'autres actes répréhensibles. Il peut s'agir d'une récompense en argent provenant des fonds récupérés grâce aux révélations du lanceur d'alerte. D'autres formes d'incitation pourraient être une certaine reconnaissance (en fonction de leur consentement et de leur sécurité) ou une promotion au travail.

Il est primordial pour des pays comme Maurice, souvent perçu comme l'une des nations les mieux gouvernées d'Afrique, de protéger les lanceurs d'alerte actuels et futurs. La première étape consiste indubitablement à adopter une législation appropriée. Dans un deuxième temps, il conviendra de mettre en place des systèmes de protection institutionnalisés exhaustifs afin d'éviter que d'autres personnes ne perdent inutilement la vie.

Richard Chelin, chercheur principal, programme ENACT, ISS Pretoria.

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