26 Mar 2021

Cross-border smuggling / La connivence entre États perpétue le trafic de pétrole à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun

Les forces de sécurité chargées de lutter contre le trafic de pétrole tirent profit du commerce illicite qu’elles ont pour mission de freiner.

Le Nigeria occupe la première place du classement des pays les plus touchés par la contrebande de pétrole dans le monde. On estime qu’il perd 1,5 milliard de dollars par mois à cause des circuits pétroliers illégaux. Et ce, malgré les efforts déployés par le gouvernement pour endiguer ce commerce illicite.

Le pays a besoin de 54 millions de litres d’essence par jour pour produire l’énergie et l’électricité nécessaires à ses activités industrielles, automobiles, commerciales et domestiques. Cependant, des données récentes de la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) montrent que seulement environ 45 millions de litres circulent, tandis que 7 millions de litres quittent chaque jour le Nigeria en contrebande pour les pays voisins.

Il s’agit notamment du Cameroun, où le trafic de pétrole depuis le Nigeria implique des opérations à petite, moyenne et grande échelle. Les opérations à petite échelle sont menées par des ressortissants locaux qui s’adonnent au captage illégal d’oléoducs et au vol de pétrole. Les criminels transportent le pétrole brut volé jusqu’à des raffineries artisanales situées le long des criques du delta du Niger pour le raffiner.

Autre stratagème plus sophistiqué, le topping up est exécuté par un réseau de criminels. Il consiste à prélever un volume de pétrole brut supérieur à celui qui est autorisé dans les terminaux d’exportation terrestres et en pleine mer, puis de modifier le volume et les modalités de livraison indiqués sur les documents d’expédition.  Il s’agit donc d’une forme de crime en col blanc commis par des employés des organismes de réglementation pétrolière et par des importateurs de produits pétroliers.

La lutte contre le trafic de pétrole à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun est une tâche complexe

L’absence de compteurs de débit de pétrole dans les terminaux d’exportation favorise cette forme de criminalité. Cette méthode de vol de pétrole a des effets considérables sur l’économie du Nigeria en raison du volume subtilisé. En outre, le niveau de sophistication des opérations et leur fonctionnement en réseau les rendent difficiles à retracer. La quantité de pétrole supplémentaire est souvent passée en contrebande par les frontières maritimes et terrestres vers le Cameroun et commercialisée dans l’économie souterraine.

Cette contrebande persistante de pétrole en provenance du Nigeria nuit également à l’économie et à l’environnement du Cameroun, et sape les efforts déployés par le gouvernement pour assurer un approvisionnement suffisant en produits pétroliers dans le pays. Le problème est souvent attribué à la faiblesse des contrôles aux multiples frontières et au déploiement insuffisant de personnels de sécurité pour vérifier les produits pétroliers qui font l’objet de trafic.

La porosité de la frontière terrestre entre le Nigeria et le Cameroun avec de vastes espaces où l’administration est absente, qui s’étendent des États d’Adamawa jusqu’à Taraba et Cross River au bord du golfe de Guinée, constituent une géographie idéale pour dissimuler des activités. Même les agents de sécurité du Nigeria et du Cameroun déployés pour protéger les frontières détournent souvent le regard lorsqu’ils sont témoins de la contrebande de pétrole.

En effet, les forces de sécurité de l’État, tant au Nigeria qu’au Cameroun, sont intégrées dans la chaîne de valeur de cette économie criminelle. Au Nigeria, la Force multinationale mixte (FMM), composée de militaires et de policiers nigérians, est chargée de lutter contre le militantisme et les crimes organisés qui y sont liés. Des membres de la FMM sont devenus complices et profiteraient des activités illicites qu’ils sont chargés de prévenir et de contrôler. Ils protègent les personnes qui vandalisent les oléoducs et les raffineries de pétrole artisanales en échange de pots-de-vin.

Le trafic de pétrole entre le Nigeria et le Cameroun emprunte des routes maritimes et terrestres

Au Cameroun, des soldats et des policiers appartiennent aux groupes criminels qui organisent le trafic du pétrole en provenance du Nigeria. Ils saisissent le pétrole de contrebande auprès d’importateurs illégaux, puis le revendent à d’autres marchands qui le commercialisent.

Le système de subvention du carburant au Nigeria est un autre facteur qui favorise la contrebande de pétrole à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun. Au Nigeria, le pétrole destiné à la consommation intérieure est acheté à la NNPC par des négociants agréés à des taux subventionnés. Avec l’aide de fonctionnaires corrompus, ces négociants détournent le pétrole vers les pays voisins d’Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, où ils le revendent à des importateurs de carburant. Ces derniers le revendent à leur tour à un prix plus élevé. Au Cameroun, l’essence se vend 1,18 dollar le litre, contre 0,42 dollar au Nigeria.

Le trafic de pétrole du Nigeria vers le Cameroun emprunte tant des routes maritimes que terrestres. Un officier militaire à la retraite qui a parlé à ENACT sous couvert d’anonymat a confirmé que le pétrole brut volé dans les États de Bayelsa, Delta et Rivers est souvent transporté par les criques vers les États d’Akwa Ibom et de Cross River.

Les produits pétroliers sont ensuite chargés dans des barils et transportés par l’échangeur de l’océan Atlantique à Oron – considéré comme une plaque tournante de la contrebande de carburant vers le Cameroun. On estime que les bateaux font passer plus de 300 000 litres de pétrole par jour à Idenau, une ville portuaire située à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria.

Le Nigeria perd environ 1,5 milliard de dollars par mois à cause des circuits pétroliers illégaux

Le Cameroun et le Nigeria subissent les conséquences environnementales, sociales et économiques de la contrebande de pétrole. Au Nigeria, le sabotage, le raffinage illégal et la contrebande ont provoqué de gigantesques marées noires dans le delta du Niger, dont le nettoyage devrait coûter environ 100 milliards de dollars.

Au Cameroun, la contrebande de pétrole constitue une menace pour l’économie nationale. Elle érode les recettes publiques provenant des droits de douane et réduit la compétitivité du pétrole raffiné localement sur le marché intérieur. En outre, la contrebande de pétrole perpétue une culture de l’anarchie, constitue un risque pour la sécurité nationale et peut compromettre la stabilité régionale. Le pétrole importé clandestinement du Nigeria serait acheminé via le Cameroun vers les forces rebelles de la République centrafricaine.

S’attaquer à la contrebande de pétrole à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun est une tâche complexe. Mais un bon point de départ pour les gouvernements des deux pays serait qu’ils fassent preuve de volonté politique pour s’attaquer au problème. La NNPC et le ministère des Ressources pétrolières du Nigeria doivent impérativement privilégier l’utilisation de la technologie pour le prélèvement et le traçage du pétrole brut. Cela doit se faire par la surveillance, le contrôle et le l’installation de compteurs pour les produits pétroliers dans les terminaux d’exportation et les raffineries.

L’adoption rapide du projet de loi sur l’industrie pétrolière au Nigeria, dont le contenu essentiel a trait à la gouvernance et au développement des communautés hôtes, permettrait de réduire la part de pétrole de contrebande dans les communautés productrices de pétrole. Elle doit s’accompagner d’une déréglementation complète de l’industrie pétrolière par l’abolition du régime de subvention des carburants au Nigeria.

Les deux États pourraient également faire montre de leur intérêt mutuel et de leur volonté politique en mettant sur pied un groupe de travail bilatéral mixte visant à faciliter l’arrestation et les poursuites contre les acteurs étatiques et non étatiques qui se livrent à la contrebande transfrontalière de pétrole.

Oluwole Ojewale, coordinateur régional de l’Observatoire de la criminalité organisée – Afrique centrale

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