La criminalité environnementale croît environ deux à trois fois plus vite que l’économie mondiale. Elle est particulièrement dévastatrice en Afrique, où les ressources naturelles sont abondantes, les taux de pauvreté élevés et la gouvernance faible.
Répandus sur tout le continent, les crimes environnementaux comprennent l’exploitation forestière illégale, le trafic et le déversement de déchets toxiques, l’extraction effrénée de sable et le commerce illégal d’espèces sauvages. Ils enrichissent les syndicats du crime organisé au détriment de la biodiversité et des écosystèmes locaux. Ils menacent également la sécurité humaine et les moyens de subsistance, alimentent les conflits et aggravent le changement climatique.
Ni l’Union africaine (UA) ni les blocs régionaux du continent ne disposent d’un cadre juridique leur permettant de lutter contre la criminalité environnementale. Entrée en vigueur en 2016, la Convention africaine révisée sur la conservation de la nature et des ressources naturelles n’est toujours pas appliquée. Elle couvre, entre autres, la gestion des ressources naturelles, les actes portant atteinte à l’environnement (dont les activités militaires et hostiles) et la coopération entre les États parties.
Toutefois, elle ne définit pas les crimes contre l’environnement et ne fixe pas de sanctions appropriées, contrairement à la directive de l’Union européenne sur les crimes contre l’environnement, adoptée en 2008 et qui doit être renforcée en 2022. Les pays ne disposent donc d’aucun recours adéquat pour lutter contre des crimes transfrontaliers qui ont souvent des répercussions régionales.
En raison de sa nature transnationale et de sa gravité, il avait été proposé en 1996 d’ériger l’écocide en crime international contre la paix. Mais il n’a finalement pas été inscrit dans le Statut de Rome, l’acte fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), qui a défini comme crimes internationaux fondamentaux le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression.
Après des décennies de plaidoyer, lors d’une nouvelle tentative d’inclure l’écocide dans le Statut de Rome, douze juristes du monde entier en ont proposé, en 2021, la définition suivante : « Actes [illicites] ou gratuits commis en sachant qu’il y a une forte probabilité que ces actes causent des dommages graves et étendus ou à long terme à l’environnement ». Modifier le Statut de Rome pour y incorporer l’écocide nécessiterait en outre de multiples étapes et un important travail de sensibilisation de la part des États membres.
De tels amendements pourraient-ils être utiles aux pays africains, et existe-t-il des alternatives à la CPI que le continent pourrait envisager ? Traiter l’écocide comme un crime présente à la fois des avantages et des écueils pour l’Afrique. À ce stade initial, les avantages potentiels sont plutôt théoriques et ambitieux, tandis que les inconvénients sont largement enracinés dans la relation complexe qu’entretient l’Afrique avec la CPI.
Concernant les ambitions, le fait de placer les crimes contre l’environnement sur le même plan que le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité renforce leur importance et reconnaît que leurs effets peuvent être tout aussi dévastateurs. Cependant, en 20 ans d’activité, la CPI n’a ouvert qu’un unique dossier de génocide, contre l’ancien président soudanais Omar el-Béchir.
Le bilan de la Cour pour les deux autres crimes internationaux est meilleur, avec 21 affaires de crimes contre l’humanité et 22 accusations de crimes de guerre. Cependant, la Cour n’a obtenu qu’une seule condamnation pour crimes contre l’humanité, et trois pour crimes de guerre. Ces chiffres sont faibles, même pour une institution conçue comme un tribunal de dernier recours.
Une grande partie de la destruction de l’environnement en Afrique étant causée par des multinationales, incorporer l’écocide dans le Statut de Rome pourrait permettre de tenir pour responsables des entités situées en dehors des juridictions nationales. Nnimmo Bassey, militant écologiste nigérian, estime que la criminalisation de l’écocide « créerait une arène dans laquelle les communautés marginalisées de pays tels que le Nigeria pourraient faire entendre leur voix contre des acteurs puissants et pollueurs ».
Toutefois, bon nombre des multinationales incriminées sont basées dans des pays qui ne sont pas signataires du Statut de Rome ou qui n’ont aucune obligation légale envers la CPI. Les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie en sont des exemples. Si les responsables d’écocide sont exclus de la compétence de la Cour, cela sapera le travail de la justice dans ce domaine et renforcera le caractère sélectif de la responsabilité dans le monde.
En outre, le Statut de Rome ne prévoit que la responsabilité pénale d’individus. Les procureurs devraient donc non seulement trouver un moyen d’accéder aux multinationales hébergées dans des pays ne relevant pas de la compétence de la CPI, mais aussi identifier des personnes à inculper au sein de ces sociétés.
Ce casse-tête est exacerbé par le fait que l’écocide est défini comme étant un acte « illégal et gratuit », le terme « gratuit » signifiant « un mépris imprudent pour des dommages qui seraient manifestement excessifs par rapport aux avantages sociaux et économiques attendus ». Il sera difficile de prouver qu’un individu a perpétré un acte répondant à ces critères.
Sur le plan opérationnel, la poursuite des auteurs du crime d’écocide pourrait poser de nombreux défis. Non seulement pour démontrer que les dommages sont excessifs par rapport aux bénéfices escomptés et pour déterminer qui en est responsable, mais aussi pour rassembler les preuves et trouver des experts pour témoigner.
Des poursuites fructueuses devant la CPI pourraient ouvrir la possibilité d’accorder des réparations aux victimes – à la fois sous forme de compensation pour la perte de ressources naturelles (et donc la perte de moyens de subsistance, de nourriture, de santé, etc.) et de financement de projets de régénération environnementale.
Mais la réalité est bien loin de ces ambitions. L’éligibilité et les formes de réparation accordées dans les affaires Thomas Lubanga Dyilo, Germain Katanga et Ahmad al-Faqi al-Mahdi de la CPI « ont été limitées à certaines victimes, ont fait l’objet d’années de litiges et ont rencontré des difficultés de mise en œuvre en raison de l’insécurité permanente ».
Un crime international d’écocide créerait sans aucun doute un important précédent moral et juridique et serait symboliquement significatif. Mais pour l’Afrique, la criminalisation de la destruction de l’environnement ne doit pas dépendre de la CPI, notamment en raison des relations historiquement tendues entre cette dernière et les États africains.
Criminaliser l’écocide au niveau continental ou régional, ou les deux, avec des stratégies adaptées aux dynamiques, besoins et capacités locaux pourrait représenter une meilleure solution. L’UA pourrait prendre l’initiative en établissant un cadre juridique qui engloberait les définitions, les infractions, les sanctions, la coopération interétatique et régionale et les mesures administratives.
La nouvelle stratégie intégrée de la Communauté de développement de l’Afrique australe qui vise à prévenir et à combattre la criminalité transnationale organisée offre également une possibilité. Elle inclut les infractions environnementales dans sa définition de la criminalité transnationale organisée et appelle à la mise en place d’un cadre juridique qui harmonise les lois nationales de protection de l’environnement et fournisse des normes pour les réponses opérationnelles. Elle couvre également le partage des renseignements et des informations, l’entraide judiciaire, l’extradition et la confiscation des biens.
Que le crime international d’écocide soit un jour promulgué ou non, l’Afrique doit faire face aux crimes environnementaux en tant que menace croissante pour le développement, la sécurité alimentaire et la paix.
Romi Sigsworth, consultante en recherche, ENACT, ISS
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