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Les chercheurs estiment qu’entre 1990 et 2020, plus d’un million de tortues marines dans le monde auraient été tuées illégalement ou victimes de trafic. Pour donner une idée de l’ampleur du problème, il ne reste actuellement qu’environ 6,5 millions d’individus.
L’Afrique de l’Ouest contribue de manière significative à leur exploitation. Ainsi, en juin 2021, les douaniers burkinabè ont saisi 555 tortues marines qui avaient été acheminées illégalement depuis Bamako, au Mali, et Lomé, au Togo. De plus, l’on estime que la moitié des œufs de tortues marines au Togo sont écoulés de manière illicite par les pêcheurs locaux.
Bien que la pollution, la pêche accidentelle et les changements climatiques contribuent au déclin de la population de tortues marines le long des côtes africaines, le braconnage et le trafic demeurent les principales causes de cette situation alarmante. Les carapaces de tortue et les ivoires d’éléphants saisis au Togo et au Bénin montrent que les tortues marines pourraient faire partie d’un réseau bien organisé de trafic de faune sauvage en Afrique de l’Ouest, notamment au Togo, au Liberia, en Côte d’Ivoire et au Ghana.
Le littoral ouest-africain abrite des plages de nidification des tortues marines parmi les plus importantes au monde, et cinq espèces — la tortue caouanne, la tortue luth, la tortue imbriquée, la tortue verte et la tortue olivâtre — que l’on trouve le long de cette côte risquent de disparaître. Elles figurent toutes sur la liste rouge des espèces menacées d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature et sont classées parmi les catégories « vulnérables » et « en danger critique ».
Les tortues marines sont une ressource essentielle pour les communautés côtières. Depuis des millénaires, elles sont chassées pour leur viande, leurs œufs, leur carapace, leur peau et leurs organes. Au Togo, leur chair et leur carapace sont particulièrement prisées. Elles sont utilisées également pour à la confection de bijoux, d’objets artisanaux, de sirop contre la toux et d’huile pour la médecine traditionnelle dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest. Certains leur attribuent même des propriétés aphrodisiaques.
Le trafic de tortues marines est motivé par un usage personnel et une consommation locale. Les communautés côtières, privées d’alternatives économiques viables et confrontées à la diminution des stocks de poissons, qui constituent leur ressource alimentaire et financière, ont vu dans le braconnage de ces créatures marines, une source de revenus. Il en résulte un marché noir bien organisé et prospère de la viande de tortue, contrôlé par des braconniers locaux.
Ces derniers chassent les tortues en mer et pillent leurs nids sur les plages. Les tortues sont ensuite acheminées de manière illicite le long des routes commerciales de la région, notamment au Ghana, au Nigeria, au Liberia, au Bénin et au Cameroun, où elles sont vendues à des commerçants sur les marchés locaux.
Le braconnage des tortues marines représente une menace pour la biodiversité. Ces animaux jouent un rôle majeur dans l’équilibre de l’écosystème marin. En effet, les tortues marines préservent la santé des herbiers marins, limitent la croissance des éponges marines et régulent les populations de méduses. Ces fonctions sont cruciales pour maintenir la vitalité des récifs coralliens, qui à leur tour abritent et préservent diverses espèces de poissons.
Les pays d’Afrique de l’Ouest sont conscients de la problématique en jeu. Tous les membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest sont signataires de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Cependant, l’application des lois de protection et de préservation des tortues marines de la plupart des États ouest-africains demeure insuffisante.
Les contrevenants pris en flagrant délit de braconnage de tortues marines ne reçoivent qu’un avertissement, sans amende. Peu d’efforts sont mis en œuvre pour dissuader les individus de braconner, de tuer ou de vendre des tortues marines, ou pour contrer la chasse et la collecte illégales de leurs œufs.
Au cours des deux dernières décennies, les États d’Afrique de l’Ouest ont créé des aires marines protégées, telles que les îles Bijol en Gambie et la lagune Keta au Ghana, afin de protéger les tortues marines. Néanmoins, les autorités et les organisations non gouvernementales (ONG) locales manquent de ressources humaines, financières et techniques pour les surveiller et les protéger efficacement.
Les patrouilles en place ne disposent ni du personnel ni de l’équipement nécessaire pour marquer tous les nids, enregistrer leurs emplacements ou les protéger aux moyens de cages. Ces tâches sont actuellement assurées par des ONG internationales, une solution qui n’est ni viable financièrement, ni politiquement appropriée à long terme.
En mars 2022, les États africains ont organisé le tout premier Congrès africain sur les tortues marines à Cotonou, au Bénin. Des réseaux régionaux comme le Réseau de conservation des tortues marines de l’Afrique de l’Ouest ont été créés — une avancée positive vers une meilleure gestion des tortues marines et un signe que les gouvernements ont l’intention de prendre la question plus au sérieux. Cependant, il faudrait des efforts bien plus conséquents.
Les États d’Afrique de l’Ouest devraient établir des partenariats avec des ONG locales pour protéger les tortues marines du braconnage et du trafic. Cela nécessite des ressources financières et techniques, ainsi qu’un investissement dans l’éducation des populations. Les campagnes d’information doivent rappeler aux communautés locales que la chasse aux tortues marines entraîne leur extinction et nuit à l’ensemble de l’écosystème marin, menaçant les revenus des pêcheurs et de leurs familles. Toutefois, en l’absence d’autres moyens de subsistance viables, les tortues marines seront toujours une cible.
Un exemple de bonne pratique est observé en Côte d’Ivoire, où l’organisation Conservation des espèces marines (CEM) collabore avec des ONG locales et les communautés pour développer l’écotourisme. Cette approche crée des emplois dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, tout en sensibilisant les communautés à la valeur des tortues marines.
La CEM a contribué à fournir des services, tels que l’installation de systèmes d’approvisionnement en eau potable alimentés par l’énergie solaire, la construction de centres de santé locaux et la réhabilitation d’écoles primaires. Travailler sur ces projets avec les habitants, dont bon nombre étaient impliqués dans le braconnage ou la consommation de tortues marines, suscite un soutien en faveur de la conservation. De plus, grâce à la collaboration des communautés locales, la Côte d’Ivoire a pu créer sa première aire marine protégée pour les tortues qui nichent à Grand-Béréby.
En collaboration avec les ONG internationales et locales — qui jouent un rôle inestimable et doivent être soutenues — les gouvernements d’Afrique de l’Ouest doivent protéger les tortues marines. L’extinction potentielle de ces animaux représente une menace significative pour les écosystèmes côtiers de la région.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, ENACT, Afrique de l’Ouest, ISS