06 Jul 2020

Trade and counterfeit goods / Comment la COVID-19 alimente le trafic de fausse chloroquine au Sénégal

Les réseaux criminels profitent de l’engouement pour un médicament qui, selon certains, pourrait traiter le coronavirus.

La chloroquine, un médicament qui, selon certains, pourrait traiter la COVID-19, est très demandée dans la capitale sénégalaise, Dakar. Elle était auparavant utilisée sous son nom commercial, la Nivaquine, pour prévenir et guérir le paludisme en Afrique. Mais, depuis les rapports de l’éminent microbiologiste français Didier Raoult et de scientifiques chinois selon lesquels la chloroquine pourrait se révéler efficace pour traiter le coronavirus, elle est très recherchée.

Peu après que le professeur Moussa Seydi, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Fann, à Dakar, a validé son utilisation, le gouvernement sénégalais a réquisitionné toute la chloroquine disponible auprès des laboratoires privés afin d’éviter une ruée sur ce médicament.

Les réseaux criminels ont profité de l’empressement de la population à se la procurer. Ils ont développé une économie parallèle par le trafic et la vente d’une version non conforme de la chloroquine. Malgré la réquisition et la fermeture des frontières aériennes et terrestres, ces réseaux criminels ont trouvé le moyen de poursuivre la contrebande et d’en alimenter le marché noir.

Les réseaux criminels profitent des échanges commerciaux routiers entre le Sénégal et la Guinée car les camions transportant des marchandises ne sont pas soumis aux restrictions de circulation. De la chloroquine contrefaite est introduite clandestinement au Sénégal par des camionneurs transportant des fruits en provenance de Guinée.

Les autorités sénégalaises doivent sensibiliser le public aux dangers de l’automédication et des faux médicaments

Selon un fonctionnaire des douanes qui a parlé à l’ENACT sous couvert d’anonymat, cet axe est choisi par les criminels en raison de l’absence de scanner par la police à la frontière, contrairement à la frontière avec le Mali, où tous les camions transportant des marchandises sont systématiquement contrôlés par un scanner.

Bien qu’il n’existe pas de données officielles sur le nombre de personnes qui ont recours à la fausse chloroquine, on rapporte que le nombre d’acheteurs sur le marché noir a considérablement augmenté au cours des derniers mois. Le Nirupquin, une forme contrefaite de chloroquine fabriquée à Mumbai, en Inde, et qui figure sur la liste des produits falsifiés à base de chloroquine sur le site Internet de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est également disponible.

Selon un intermédiaire interrogé par ENACT, les riches comme les pauvres achètent ce médicament. Certains clients ne savent pas qu’il s’agit d’une contrefaçon, les intermédiaires les assurant de sa bonne qualité.

La ruée vers la chloroquine a entraîné une forte hausse de son prix sur le marché noir. Avant l’épidémie de COVID-19, un comprimé de Nirupquin se vendait 250 francs CFA (0,40 dollars). Aujourd’hui, il coûte 1 500 francs CFA (2,40 dollars). Une boîte de 100 comprimés qui se vendait 6 000 francs CFA (10 dollars) coûte actuellement environ 20 000 francs CFA (33 dollars) sur le marché noir, a déclaré la source à ENACT.

Les réseaux criminels ont profité de l’empressement de la population à se procurer de la chloroquine

De nombreuses personnes achètent le médicament en pensant qu’il peut prévenir le coronavirus, ou pour se soigner à domicile, car de nombreux patients atteints de la COVID-19 refusent de se rendre à l’hôpital en raison de la stigmatisation liée à la maladie, explique le Professeur Seydi.

Dans un cas comme dans l’autre, ils ont des effets secondaires dangereux pour la vie des consommateurs. Selon l’OMS, les faux médicaments ne sont pas seulement à l’origine de maladies cardiovasculaires et d’insuffisances rénales chroniques, mais ils peuvent aussi provoquer une résistance dans la lutte contre des maladies comme le paludisme. Si le gouvernement ne prend pas des mesures urgentes contre la vente illicite de fausse chloroquine, l’automédication pourrait entraîner de graves problèmes de santé publique.

Au cours des cinq dernières années, le Sénégal a intensifié sa lutte contre les faux médicaments. En 2014, il a mis en place un comité interdépartemental de lutte contre les faux médicaments comprenant plusieurs entités dont les ministères de la Santé et du Commerce, la police et les douanes.

En février 2020, le Groupement polyvalent de recherche et de répression de la fraude, un service douanier de lutte contre la fraude, a effectué deux importantes saisies de faux médicaments. La première a été évaluée à environ 100 millions de francs CFA (169 310 dollars) et la seconde à 2,5 millions de francs CFA (38 094 dollars).

Depuis cinq ans, le Sénégal intensifie sa lutte contre les faux médicaments

En janvier 2020, le gouvernement sénégalais a signé l’Initiative de Lomé qui est un accord intercontinental pour la pénalisation et la coopération contre le trafic de faux médicaments. Selon le ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr, le Sénégal s’est lancé dans la procédure de ratification de la Convention Médicrime. L’ordre des pharmaciens du Sénégal et les organisations de la société civile devraient saisir l’occasion offerte par une urgence sanitaire mondiale pour plaider en faveur de son adoption et de son application immédiates.

Outre la sensibilisation à la distanciation physique et au port du masque, les autorités sénégalaises devraient sensibiliser le public aux dangers de l’automédication et de la consommation de faux médicaments. Le Sénégal doit également développer un système efficace de suivi et de traçabilité de la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique afin de briser le cycle du trafic de médicaments contrefaits.

Mouhamadou Kane, consultant en recherche, projet ENACT, ISS

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