En Afrique, des dizaines de milliers de personnes meurent chaque année après avoir ingéré de faux médicaments. Selon l’Organisation mondiale de la santé, il s’agit des produits de contrefaçon les plus lucratifs au monde, avec un marché mondial d’environ 200 milliards de dollars. Leur commerce en Afrique représente environ 42 % de ce marché en raison de la mauvaise surveillance des frontières, de la faiblesse de la législation et de la médiocrité des services de santé sur le continent.
Le Gabon est récemment apparu comme une destination majeure pour ces faux médicaments. En janvier 2020, plus de sept tonnes de produits pharmaceutiques et cosmétiques contrefaits ont été détruits à Libreville lors d’une opération conjointe entre la Direction gabonaise du médicament et de la pharmacie et la Direction générale de la concurrence et de la consommation contre la vente illicite de produits contrefaits.
Le 23 décembre 2021, les douaniers gabonais ont saisi une importante cargaison de produits pharmaceutiques interdits en provenance du Cameroun et à destination de Libreville. En janvier, les autorités judiciaires gabonaises ont poursuivi des trafiquants du Congo-Brazzaville qui avaient fait passer illégalement plusieurs caisses de médicaments contrefaits, d’une valeur estimée à environ 34 000 dollars (soit près de 20 millions de francs), destinés à être vendus dans les principales villes gabonaises. La cargaison contenait également d’autres produits, notamment des compléments alimentaires et des stimulants.
Le gouvernement gabonais a tenté d’endiguer ce raz-de-marée de médicaments contrefaits vendus sur les marchés urbains, mais les criminels ont réussi à contourner ces mesures.
La contrebande de faux médicaments dans le pays ne date pas d’hier. Les médicaments sans autorisation de mise sur le marché sont apparus dans les rues de Libreville il y a plusieurs dizaines d’années et ont gagné en portée et en accessibilité. Ils ont été introduits en contrebande depuis le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et l’Inde, où les produits authentiques sont remplacés par des médicaments de qualité inférieure, sans principe actif ou contenant une substance toxique. Les comprimés fabriqués au Nigeria sont apparus dans des boutiques de quartier avant de se répandre dans les principaux marchés de Libreville, Mont-Bouët et Nkembo.
Les criminels qui vendent des médicaments contrefaits sont notamment des contrebandiers de produits en gros, des vendeurs de cigarettes et des vendeurs à la sauvette. Ils font commerce ouvertement de faux analgésiques, tranquillisants, sirops contre la toux et antirhumatismaux. On trouve fréquemment des médicaments contrefaits dans les échoppes au bord des routes, qui sont répandues dans les villes mais font rarement l’objet d’une réglementation.
La plupart des clients s’approvisionnent auprès des marchands ambulants car les faux médicaments sont meilleur marché et plus faciles à se procurer que les médicaments authentiques. Les consommateurs ne tiennent pas compte des mises en garde des professionnels de la santé contre la prise de faux médicaments, et ne se rendent pas toujours compte des dangers que ces produits représentent pour leur santé. Dans les grandes villes du Gabon, les médecins signalent de nombreux décès, de graves problèmes d’estomac et de reins, ainsi que des troubles neurologiques dus à la prise de médicaments contrefaits.
Le gouvernement a mis en place plusieurs mesures pour endiguer leur vente et leur consommation. Au niveau régional, le Gabon ainsi que 15 autres pays africains ont adopté en 2018 la résolution de Rabat, un nouveau cadre de lutte contre ce phénomène. Sur le plan national, toute personne reconnue coupable d’avoir facilité l’achat, la vente, la consommation, la commercialisation, le transport, l’importation, la transformation, l’approvisionnement et la distribution de médicaments contrefaits peut être condamnée à une peine allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement ou à une amende pouvant s’élever à 1 719 940 dollars US.
Des campagnes de sensibilisation ont été lancées pour alerter les autorités et le grand public sur les menaces qu’ils représentent. Le gouvernement a organisé des campagnes de prévention dans les lycées des grandes villes, et le maire de Libreville en a interdit la vente dans les rues de la ville.
Malgré ces initiatives, les faux médicaments continuent d’être vendus sur les marchés de la capitale gabonaise. La répression est inefficace et ne parvient donc pas à dissuader les fabricants, les vendeurs et les prescripteurs de ces contrefaçons, de sorte que leur commerce se poursuit.
Les médicaments contrefaits sont à l’origine d’une crise de santé publique au Gabon, et les mesures doivent tenir compte des dangers de leur consommation. Il faut améliorer les capacités de la police et des procureurs à détecter, enquêter, arrêter et poursuivre les contrebandiers. Cela passe par une meilleure sécurisation des frontières et par l’utilisation de meilleurs moyens de surveillance et de technologies plus sophistiquées.
En partenariat avec l’industrie pharmaceutique et des prestataires de services numériques, le Gabon devrait développer une solution technologique qui permettrait aux consommateurs de vérifier rapidement et à moindre coût l’authenticité des médicaments achetés. Mis en place au Nigeria, le service d’authentification mobile (the Mobile Authentication Service) utilise des codes à gratter et des SMS qui permettent au consommateur de vérifier la qualité et la validité des médicaments sur le lieu d’achat.
Les maires des villes concernées et le bureau central de l’Association des pharmaciens gabonais doivent soutenir ces efforts. Les campagnes d’éducation et de sensibilisation du public aux dangers des médicaments contrefaits doivent se poursuivre et cibler des publics plus larges. Ces initiatives doivent compléter l’action de la police, dont le rôle est de détecter et de désorganiser l’activité des principaux fabricants et distributeurs au Gabon.
Ces actions vont de pair avec une nouvelle stratégie globale développée par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime pour lutter contre les délits liés aux faux médicaments en Afrique centrale. Les cinq piliers de cette stratégie sont la sensibilisation, l’assistance législative, l’innovation, le renforcement des capacités et la coopération. Tous les acteurs impliqués dans la fabrication, la distribution, la réglementation, la répression et la consommation de médicaments doivent travailler main dans la main pour résoudre le problème des faux médicaments au Gabon.
Oluwole Ojewale, coordinateur régional de l’Observatoire du crime organisé – Afrique centrale, ENACT, ISS