Le secteur des déchets toxiques représente une industrie de plusieurs milliards de dollars pour les réseaux criminels et un danger de mort pour les africains. Des accords en apparence légitimes sur l’élimination des déchets masquent des activités illégales qui permettent le déversement de masses de déchets dangereux dans les pays nord-africains.
Les pays d’Afrique du Nord, où la pollution est légitimement contrôlée, sont des destinations courantes pour les déchets européens, afin d’y être recyclés. Cependant, ces pays n’ont pas toujours les moyens techniques de recycler les déchets, ce qui entraîne des dommages environnementaux et de graves problèmes sanitaires pour leurs citoyens.
Entre mai et juillet 2020, plusieurs cargos en provenance d’Italie ont accosté au port de Sousse en Tunisie et y ont déchargé près de 7 900 tonnes de déchets dangereux. Cette situation n’est pas nouvelle pour les autorités. En 2013, trois conteneurs de déchets radioactifs en provenance de Chine avaient été interceptés en Algérie. Puis en 2016, les Émirats arabes unis auraient exporté des denrées alimentaires et des médicaments périmés vers la Libye.
En théorie, ceci n’est pas illégal. La gestion des déchets est souvent sous-traitée à d’autres pays parce qu’il est moins cher de recycler ou d’incinérer les déchets à l’étranger. Cependant, des groupes criminels organisés ont optimisé le flou existant au plan juridique et en ont fait une industrie illicite de plusieurs milliards de dollars.
Les groupes mafieux italiens – connus sous le nom d’éco-mafia – sont au centre de ce commerce mondial illégal d’élimination des déchets et sont de plus en plus impliqués dans la gestion des déchets depuis les années 1990. En 2018, les autorités italiennes ont saisi 4,4 millions de tonnes de déchets toxiques. Des documents contrefaits et des enregistrements frauduleux de déchets sont souvent utilisés dans les transactions. Les mafias pratiquent des tarifs bien moins élevés que les entités légales.
Les organisations du crime organisé masquent souvent l’illégalité de leurs activités par des opérations légitimes. Interpol indique que cette pratique ne fait que commencer dans de nombreux pays. L’organisation estime que l’élimination illégale des déchets de panneaux solaires va se développer dans les années à venir, citant le cas, en 2019, d’un groupe criminel organisé transnational qui a fait passer en contrebande de grandes quantités de panneaux photovoltaïques périmés d’Europe vers l’Afrique.
Dans le cadre du scandale entre l’Italie et la Tunisie, un contrat d’une valeur de 5,7 millions d’euros a été signé entre la société italienne Sviluppo Risorse Ambientali Srl (SRA) et son partenaire tunisien SOREPLAST. En vertu du contrat, SRA collecterait les déchets « plastiques » de la région de Naples et les enverrait à SOREPLAST pour tri et recyclage. SOREPLAST renverrait ensuite les produits recyclés en Italie.
Mais SOREPLAST n’étant pas équipée d’un incinérateur pour le recyclage, la Tunisie aurait été la destination finale de ces déchets – qui n’étaient en réalité pas du plastique, mais des ordures ménagères urbaines potentiellement dangereuses.
La Commission parlementaire tunisienne pour la réforme administrative, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption confirme que SOREPLAST « ne dispose ni des moyens matériels et humains, ni de la technologie nécessaire pour trier les déchets importés ». L’activiste tunisien Hamdi Chebâane, de l’association Tunisie verte, affirme que les déchets étaient destinés à être soit brûlés, soit déversés dans une décharge en Tunisie. Se heurtant à une réticence ferme de la part de la Tunisie, les ordures ont finalement été renvoyées en Italie.
Des fonctionnaires de l’État, des personnels politiques et des employés du consulat tunisien à Naples auraient été impliqués dans ce scandale. L’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED), qui dépend du ministère de l’Environnement, aurait autorisé l’entrée des 70 premiers conteneurs de déchets. L’ANGED avait fourni aux autorités douanières de faux documents attestant que le chargement contenait du plastique destiné au recyclage.
Cet incident illustre les liens entre la corruption et le secteur des affaires. Le ministère tunisien de l’Environnement subit depuis de nombreuses années la pression d’hommes d’affaires pour l’importation de déchets toxiques.
La législation tunisienne sur les déchets toxiques est composée de la loi n° 1996-41 du 10 juin 1996 (modifiée par la loi 2001-14 du 30 janvier 2001), qui régit la gestion, le contrôle et l’élimination des déchets industriels, et le décret n° 2000-2339 du 10 octobre 2000, qui établit une liste de déchets dangereux. Ces lois doivent être appliquées, et les autorités judiciaires tunisiennes doivent traiter le déversement de déchets toxiques à l’intérieur de ses frontières non seulement comme un crime, mais aussi comme une menace pour les intérêts environnementaux nationaux de la Tunisie et de sa population.
D’une manière plus générale, il est nécessaire de sensibiliser davantage aux risques et de faire pression sur les gouvernements africains pour qu’ils prennent au sérieux la question de l’élimination des déchets toxiques. Une première étape cruciale consiste, pour les pays, à élaborer une législation appropriée et à se doter des capacités nécessaires pour enquêter sur ces crimes et poursuivre leurs auteurs en justice.
Par exemple, en Afrique de l’Ouest en 2021, les autorités sénégalaises ont infligé une amende de 3 millions d’euros à un cargo allemand pour avoir déchargé des déchets toxiques dans le port de Dakar. Ces lourdes sanctions financières peuvent dissuader les armateurs de déverser leurs déchets toxiques en Afrique du Nord.
En outre, il existe des instruments juridiques régionaux et internationaux relatifs aux déchets toxiques qui doivent être appliqués pour lutter contre ce crime.
La Convention de Bamako, qui a été signée et ratifiée par la Tunisie, est entré en vigueur en 1998. Elle interdit l’importation de tous les déchets dangereux et radioactifs en Afrique pour quelque raison que ce soit, et minimise et contrôle les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux sur le continent.
Il est nécessaire de revoir le mécanisme de suivi et de contrôle de la Convention de Bamako afin de garantir une meilleure application. L’Union africaine a un rôle essentiel à jouer dans la protection des personnes et de l’environnement, et dans la prise de mesures appropriées à l’encontre des États membres qui contreviennent à la Convention.
Une autre réponse juridique consiste à plaider pour que les pays africains qui ne l’ont pas encore fait ratifient la Convention de Bâle, un traité international visant à réduire les mouvements de déchets dangereux entre les nations. Cette Convention dispose que les États exportateurs et importateurs doivent « gérer les mouvements transfrontaliers de déchets d’une manière écologiquement rationnelle ». Elle précise également que les États parties ne peuvent exporter des déchets que si le pays importateur a la capacité et les équipements nécessaires pour les recycler.
Il s’agit d’une menace croissante, et si les citoyens et les gouvernements africains veulent éviter que leurs pays soient la décharge d’autres pays industrialisés, il faudra un large éventail d’initiatives aux niveaux local, régional et international. Au vu de la série d’exemples récents, cette probabilité est incertaine.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, Observatoire régional du crime organisé en Afrique de l’Ouest ENACT, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad