Au Mali, le vol de bétail en tant qu’activité relevant du crime organisé s’est rapidement développé depuis 2012, la même année où la crise sécuritaire du pays a débuté. Cette activité criminelle a engendré un trafic d’armes, qui a lui-même aggravé la situation et qui est lié à cette crise de 2012 ainsi qu’au conflit en Libye, qui a débuté en 2011.
La crise complexe du Mali a débuté lorsque des groupes rebelles armés ont défié le gouvernement en prenant possession du nord du pays. Les groupes djihadistes ayant des affiliations avec les rebelles ont profité de l’instabilité en se dirigeant vers le Nord afin d’y imposer la Charia et en alimentant souvent les conflits ethniques en montant une communauté contre une l’autre. Ils ont été accusés de ne pas combattre pour une idéologie en tant que telle, mais plutôt de lutter contre les groupes armés et l’armée malienne afin de prendre le contrôle des routes du trafic.
La plupart des groupes rebelles ont signé un accord de paix et font aujourd’hui partie du gouvernement. Toutefois, les groupes djihadistes en constante évolution continuent de poursuivre leur objectif, en étendant leurs attentats terroristes létaux aux frontières avec le Burkina Faso et le Niger. En collaboration avec des forces régionales et internationales, les forces armées maliennes poursuivent la lutte contre ces groupes terroristes.
Des criminels exploitent cette faille sécuritaire pour intensifier la pratique ancestrale du vol de bétail et en tirent des profits considérables. Le vol de bétail constitue une menace directe et imminente pour le secteur malien de l’élevage, un pilier essentiel de l’économie du pays. L’élevage est également le troisième secteur le plus important du pays après l’or et le coton.
Ici, dans les cercles de Bankass et de Koro de la région de Mopti, l’élevage du bétail est l’une des activités économiques les plus importantes pour les communautés locales. Le vol de bétail est monnaie courante dans la région qui, à elle seule, représente plus de la moitié du cheptel du pays. En l’absence de protection du gouvernement, les habitants de la région et les éleveurs se sont trouvés dans l’obligation de s’armer, de mettre en place des groupes d’autodéfense ou de compter sur des groupes armés organisés pour défendre leur famille et leur bétail. Ces facteurs ont eu pour effet d’accroître la demande d’armes illicites, en particulier de munitions de type militaire.
Les cercles de la région de Gao, le cercle de Bourem dans la région de Tombouctou et le cercle d’Ansongo dans la région de Ménaka sont également gravement touchées par ce phénomène. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Gao était la région la plus touchée en novembre 2019, avec 87 000 têtes de bétail volées, tandis que Mopti signalait le vol de 78 000 têtes de bétail. D’autres zones telles que Bamako, Ségou et Kayes sont aussi durement frappées.
Le trafic est aggravé par la porosité des frontières ; en effet, il existe diverses routes informelles de trafic pour l’exportation du bétail volé, de drogues et de marchandises de contrebande, notamment des cigarettes, des motos, du thé, du jus, du textile et des vêtements.
Le vol de bétail passe par un marché d’exportation très structuré qui a recours à toute une chaîne d’intermédiaires, évitant ainsi les longs trajets qui attireraient l’attention des forces de sécurité ou des groupes armés actifs dans la région.
Mody Diallo, président de l’Association des éleveurs de la région de Kayes, a déclaré à l’ENACT que l’une des dernières stratégies utilisées par les criminels consistait à décharger le bétail volé des camions se dirigeant vers le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Le bétail passe ensuite la frontière avec les pays voisins, le Niger et le Burkina Faso, par voie terrestre.
Outre cette insécurité extérieure, il y a également des conflits entre communautés qui aggravent le vol de bétail. Alors que les communautés Bambara, Dogon, Dafi, Samoko et Bozo ont un mode de vie sédentaire, les Peuls sont nomades et se déplacent au gré des saisons avec leur bétail, dans le centre et le nord du Mali, et traversent régulièrement la frontière avec le Burkina Faso. Cette divergence de mode de vie provoque des conflits pour l’accès aux ressources entre les Peuls et les autres communautés, en particulier les Dogons.
Ces conflits se sont intensifiés en 2016 lorsque des groupes djihadistes ont commencé à alimenter les tensions intercommunautaires afin de déstabiliser la région. Les djihadistes poursuivent leurs attaques régulières au Mali et dans les pays voisins, le Niger et le Burkina Faso, et ce en dépit de la présence, dans la région, de l’opération française Barkhane et de la force mixte du G5 Sahel qui combattent les islamistes et les groupes rebelles touareg qui ont pris le contrôle du nord du Mali.
Les communautés sont confrontées à d’autres problèmes dans la mesure où les groupes d’autodéfense qu’elles ont créés attaquent des villages et se rendent eux-mêmes coupables de vol de bétail. Un récent rapport d’Interpeace et de l’Institut malien de recherche-action pour la paix, souligne que ces groupes d’autodéfense sont la cause de « préoccupations à plus long terme ».
« La quasi-absence de services publics dans les régions frontalières limite la capacité du gouvernement à contrôler la violence armée et à répondre aux préoccupations des communautés locales dans cette zone », déclare le Centre pour le dialogue humanitaire. Il s’agit d’une organisation diplomatique qui œuvre en faveur de la médiation entre les différents acteurs du secteur de l’élevage.
Cette médiation repose sur des mécanismes traditionnels dont les communautés touchées disposent depuis des dizaines d’années et qui, pour garantir une sécurisation durable de la région, doivent se faire en tandem avec les efforts menés par l’État.
« Il ne s’agit plus [seulement] de vol, mais bien de pillage des troupeaux. Ils se contentent de rassembler des centaines, voire des milliers de têtes de bétail pour les vendre dans les pays voisins », a déclaré à la presse Sanoussi Bouya Sylla, président de la Chambre régionale d’agriculture du district de Bamako.
Sylla évoque le lancement d’un processus qui visait à faire adopter une loi pénalisant ces activités, mais ces efforts avaient été contrariés par les changements constants de gouvernement. L’instabilité fait également obstacle aux efforts déployés par les pays voisins pour collaborer avec le Mali afin de résoudre le problème. Il est peu probable que les vols de bétail diminuent, à moins que le gouvernement du Mali n’améliore la sécurité, ne renforce les contrôles aux frontières et ne collabore avec les pays voisins pour réguler la circulation et le commerce du bétail.
De nombreux Maliens investissent dans le secteur de l’élevage, cependant le vol de bétail peut décourager l’investissement local et mettre à mal la production de bétail au Mali et, par conséquent, l’économie du pays en général. Malgré l’importance de ce secteur et l’urgence de s’attaquer à cette situation, il semble peu probable que cela se produise dans un avenir proche, étant donné le contexte d’insécurité persistante. À l’instar des conflits, ce sont les éleveurs de bétail eux-mêmes qui sont le plus menacés et les moins en mesure de défendre leurs moyens de subsistance.
Deo Gumba, Consultant-chercheur (Projet ENACT) et Diakaria Traore, Consultant malien indépendant