La population sauvage de perroquets gris d’Afrique diminue à un rythme de 21 % par an. Présent en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, cet oiseau fait l’objet d’un trafic illégal et est vendu comme animal de compagnie exotique, tandis que son habitat naturel est dispersé et détruit. En outre, les politiques et les pratiques d’octroi de permis visant à réglementer sa possession sont peu connues, faciles à ignorer et rarement mises en œuvre.
Cette espèce est pratiquement éteinte au Ghana, où le commerce illégal a fait disparaître 90 à 99 % des spécimens. Sa population a également diminué de plus de 50 % dans d’autres pays. En République démocratique du Congo (RDC), dernier habitat naturel de cet oiseau, des braconniers attrapent les derniers juvéniles pour les vendre. En avril 2022, un trafiquant congolais arrêté en Ouganda avec 122 perroquets a été condamné à sept ans de prison.
En 2017, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a déplacé le perroquet gris d’Afrique de l’Annexe II à l’Annexe I du texte. Cela signifie que l’espèce est menacée d’extinction et son commerce est interdit, sauf dans des cas exceptionnels.
Avant cette décision, les détenteurs de perroquets dans certains pays d’Afrique de l’Est devaient les déclarer auprès des autorités chargées de la protection des espèces sauvages. Cependant, cette obligation était rarement appliquée. Mais après l’inscription à l’Annexe I de la CITES, le Kenya, l’Ouganda et la RDC ont instauré des procédures d’enregistrement des perroquets et ont accordé l’amnistie aux détenteurs de spécimens acquis de manière irrégulière.
Au Kenya, le permis annuel de détention d’un perroquet coûte 100 dollars US (12 000 KES). Pour s’épargner des frais et des démarches administratives, certaines personnes achètent des perroquets issus du trafic sans demander de permis. Beaucoup ignorent que ce document est obligatoire depuis 2017.
Pour les services répressifs des pays d’Afrique de l’Est, la priorité est d’intercepter le commerce illicite de perroquets sur les marchés virtuels, en pleine expansion. Cependant, le commerce physique de cet oiseau depuis la RDC vers d’autres marchés d’Afrique de l’Est se poursuit également.
Selon un détenteur de perroquets agréé et un membre des services répressifs, qui ont discuté avec ENACT sous couvert d’anonymat, un réseau de trafic de perroquets opère actuellement entre la RDC et le Kenya, avec l’Ouganda comme point de transit.
Les braconniers de RDC capturent les juvéniles en envahissant leurs lieux de nidification dans la canopée. Une autre méthode consiste à utiliser de grandes cages tressées (kitunga) pour emprisonner les oiseaux au sol.
En raison du conflit qui sévit dans l’est de la RDC, certains habitants préfèrent braconner des oiseaux plutôt que de travailler dans le commerce illégal de bois, de métaux ou de minerais. Contrôlées par des rebelles armés, ces activités sont plus risquées et donnent souvent lieu à des luttes intestines avec d’autres groupes rebelles ou avec l’armée nationale. Les braconniers d’oiseaux, en revanche, travaillent pour leur propre compte, organisent leur temps comme ils le souhaitent et sont payés immédiatement en espèces. Un oiseau est vendu environ 10 dollars. Plus il est en bonne santé, plus son prix est élevé, car il peut supporter un long voyage, même s’il est jeune.
Les oiseaux sont achetés aux braconniers par des intermédiaires en RDC qui les acheminent vers Kampala pour les confier à leurs homologues. Le transport est assuré par des réseaux d’autobus transnationaux qui effectuent la liaison entre les grandes villes de l’est de la RDC, telles que Goma et Bukavu, et Kampala en Ouganda, via Kigali au Rwanda. Des camions de transport de marchandises sont également utilisés. Les oiseaux sont placés sous les autobus ou les camions dans des cartons obscurs sans ventilation, souvent rangés sous d’autres bagages. Ils risquent de mourir de soif, de faim ou d’asphyxie à cause des fumées. Les changements de lignes d’autobus prolongent les trajets, qui durent au minimum deux jours.
Les intermédiaires qui récupèrent les oiseaux à Kampala sont chargés par des agents de Mombasa de les transporter jusqu’à cette ville ou de les livrer aux acheteurs à Kampala. Parmi les nombreux agents actifs à Mombasa, les services répressifs kenyans ont connaissance d’un individu qu’ils considèrent comme le chef des trafiquants. D’après le contact d’ENACT au sein de ces services, cet agent contrôle l’ensemble du réseau et son identité reste inconnue.
ENACT n’a pas pu déterminer le montant versé par l’agent aux intermédiaires à Kampala, mais il vendrait un perroquet entre 100 et 250 dollars (12 000 à 30 000 KES). Il n’opère pas en ligne, mais a recours à un système complexe de recommandation de bouche à oreille. Selon le détenteur de perroquets agréé, son identité est aussi inconnue des acheteurs et la police ignore son mode opératoire. Ce détenteur de perroquets domicilié à Nairobi a été confondu à l’agent de Mombasa et arrêté à tort par la police. Il a déclaré à ENACT qu’il avait entendu parler de cet agent sans toutefois le connaitre.
Il se pourrait que la chaîne criminelle active en Afrique de l’Est collabore avec un réseau de trafic d’oiseaux à destination des pays du Conseil de coopération du Golfe, notamment les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Cette information reste toutefois à confirmer, indique le membre des services répressifs.
Il faut encourager l’interception du trafic de perroquets sur les marchés virtuels. De fait, des organisations comme le World Parrot Trust et l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée développent des connaissances sur cette pratique. Cependant, les pays où se déroulent ces activités illicites doivent également renforcer les mesures pour endiguer le trafic physique de perroquets, souvent dissimulé.
Il est essentiel que les autorités chargées de la protection des espèces sauvages, les gardes-frontières et le secteur des transports d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Est se coordonnent. À ce jour, le dialogue entre ces acteurs étatiques et non étatiques est inexistant.
Les chefs de police des deux régions et leurs ministres ont signé en octobre 2021 un accord de coopération policière et pénale auquel ENACT a apporté des conseils politiques et une assistance technique. Dans l’attente de sa ratification par les parlements des 21 États membres des deux associations régionales de chefs de police, le Comité des chefs de police d’Afrique centrale et l’Organisation de coopération des chefs de police d’Afrique orientale, l’accord est entré en vigueur.
Couplé aux renseignements recueillis via le commerce virtuel de perroquets, cet accord pourrait offrir aux organismes étatiques et non étatiques une plateforme intéressante pour lutter contre le trafic de gris d’Afrique.
Pour les associations de chefs de police d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Est, une première étape clé consisterait à présenter le problème à leurs comités permanents de coordination, qui sont leurs plus hauts organes décisionnels. Dans un deuxième temps, ces comités devraient placer le trafic de perroquets à l’ordre du jour de leurs assemblées générales annuelles afin que des recommandations soient adoptées.
Mohamed Daghar, coordonnateur régional pour l’Afrique de l’Est, projet ENACT, ISS