11 Oct 2024

Fauna / La Sierra Leone paralysée face à la pêche illégale étrangère

Depuis près de quarante ans, des flottes étrangères, notamment chinoises, épuisent les ressources halieutiques autrefois durables.

Les 400 km de la côte atlantique de la Sierra Leone contenaient jadis d'abondantes ressources marines cruciales pour l'économie du pays. La pêche représente 12% du produit intérieur brut du pays et constitue la principale source de protéines pour 80% de la population. Ce secteur emploie environ 500 000 personnes sur une population de huit millions d'habitants.

Mais ces emplois et ces avantages économiques tendent à disparaitre. Ils sont continuellement menacés par le réseau flagrant de navires étrangers pratiquant la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) sur les côtes de la Sierra Leone, y compris dans les zones d'exclusion réservées aux pêcheurs locaux.

La pêche illégale est un crime organisé transnational qui génère des milliards de dollars de bénéfices par an. Les efforts déployés par le gouvernement pour combattre ce fléau ont été largement infructueux.

Le président Julius Maada Bio a déclaré en 2020 que la pêche illégale coûtait à son pays environ 50 millions de dollars par an, une grande partie des ressources de cette pêche prennent la route de l’Asie. En revanche, seuls 18 millions de dollars provenant de la pêche légale parviennent dans les caisses de l'État.

Délaissées par le gouvernement, les communautés locales ont commencé à se faire justice elles-mêmes

Le secteur serait gangrené par la corruption et la mauvaise gestion, et le problème semble insoluble. Des flottes illégales étrangères exploitent les eaux territoriales de la Sierra Leone depuis environ quarante ans. Un conseiller au ministère de la Pêche et des Ressources marines, qui a requis l'anonymat, a déclaré : « De nombreux pays volent nos poissons, y compris les États voisins d'Afrique de l'Ouest ».

Les espèces de poissons précieuses comme le bonga, le vivaneau et le mérou sont particulièrement vulnérables. Les opérateurs illégaux utilisent des techniques avancées pour échapper à la détection, explique Pele Gandy-Williams, président du groupe de travail sur les infractions financières de la Sierra Leone. Ils pêchent dans des zones restreintes, falsifient les données de capture, désactivent les transpondeurs de leurs navires et changent fréquemment d'immatriculation pour éviter d'être repérés.

L'indice de pêche INN montre que les navires chinois sont les plus grands contrevenants, mais le gouvernement hésite à agir, car il entretient des relations étroites avec la Chine. Délaissées par le gouvernement, les communautés locales de pêcheurs ont commencé à se faire justice elles-mêmes. Le pêcheur Abdul Kamara, originaire de la communauté côtière de Funkia, près de la capitale Freetown, a déclaré au projet ENACT sur la criminalité organisée que les habitants ont attaqué des bateaux étrangers.

La colère des habitants s'est intensifiée en 2021, quand l'on a appris que la Chine prévoyait de construire un port de pêche et une usine de transformation de farine de poisson sur la plage vierge de Black Johnson Beach, une forêt tropicale et une plage protégées. Cédant à la résistance de la communauté, le gouvernement a immédiatement stoppé le projet, explique le conseiller au MFMR.

La Sierra Leone dispose d'un seul bateau de patrouille souvent bloqué au port faute de carburant

La loi sur la pêche et l'aquaculture de 2017 et les règlements y afférents de 2019 constituent la législation actuelle en matière de gestion de la pêche. Ce cadre offre un soutien à la gouvernance de la pêche et à l'aquaculture, en mettant l'accent sur la réduction de la pêche illégale.

La loi interdit les activités de pêche non autorisées, notamment la prise, l'introduction, le transbordement ou l'achat de poissons pêchés de manière illicite. L’unité de suivi, de contrôle et de surveillance des navires est chargée de gérer les opérations de pêche et de faire respecter les pratiques de pêche durable.

Les rapports sur le durcissement de la position du gouvernement à l'égard de la pêche illégale varient et semblent contradictoires. Le gouvernement affirme que des progrès modérés ont été réalisés dans le but d’endiguer cette criminalité organisée, en particulier grâce aux systèmes de suivi des navires. Toutefois, les pêcheurs locaux affirment que ces mesures sont insuffisantes pour réduire l'ampleur des violations.

Les contrevenants qui pénètrent dans les zones d'exclusion, où la pêche est limitée, s'exposent à des amendes de plus de 1,5 million de dollars américains. Cependant, l’unique bateau de patrouille qui doit couvrir le vaste littoral sierra-léonais est souvent bloqué au port faute de carburant.

La pêche illégale se déroule parallèlement à la pêche légale, ce qui la rend difficile à détecter

Le MFMR est également confronté à un manque important de données : il estime la production annuelle de poissons à environ 228 000 tonnes, mais ne dispose pas de statistiques sur les taux de reconstitution de la population de poissons. En l'absence de ces données et face à une pêche illégale bien enracinée et à des pratiques de pêche dangereuses, la pêche en Sierra Leone est de moins en moins durable.

Le pays a besoin de toute urgence d'une stratégie globale en matière de pêche. Une telle stratégie constituerait la pierre angulaire de la gestion des ressources, couvrant le contrôle, l'application de la réglementation, la formation, la promotion des pratiques durables et le renforcement de la collaboration internationale pour garantir le respect des normes.

La Sierra Leone reconnaît l'ampleur de la pêche illégale et collabore avec les pays voisins dans le cadre d'efforts régionaux pour y remédier. À titre d’exemple, le programme régional de pêche pour l'Afrique de l'Ouest, vise à partager les informations, à coordonner les patrouilles et à élaborer des stratégies communes d'application de la loi.

Certains succès ont été enregistrés. En 2021, la collaboration entre la marine sierra-léonaise et Sea Shepherd Global, une organisation non gouvernementale de conservation des océans, a permis d'appréhender cinq navires opérant sans licence dont deux provenaient de la Chine et trois de la Corée du Sud.

Le fait que la pêche illégale se déroule parallèlement aux activités de pêche légale la rend difficile à surveiller et à détecter. Pour endiguer les réseaux criminels, il faut agir de manière cohérente en mer et faire respecter la législation en vigueur. En tant que signataire de l'Accord relatif aux mesures du ressort de l'État du port, la Sierra Leone devrait également privilégier les inspections dans les ports et refuser les droits d'accostage aux navires impliqués dans la pêche illégale.

Une coopération inter-agences et internationale est nécessaire pour suivre les navires et les flux financiers à travers des structures complexes de transport maritime et de sociétés. Pour commencer, la Sierra Leone doit s'engager sur le plan diplomatique avec des pays comme la Chine qui violent constamment ses eaux territoriales.

Feyi Ogunade, coordinateur de l’Observatoire régional de la criminalité organisée en Afrique de l’Ouest

Image : UN Photo

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