L’exploitation de mines d’or artisanales au Burkina Faso fait vivre environ 700 000 personnes, soit 13 fois plus que l’exploitation minière formelle, qui assure les revenus de 52 000 personnes. Cette activité, qui occupe une place centrale dans le produit intérieur brut du pays, devrait connaître un essor à l’heure où l’agriculture et l’élevage sont mis à mal par le changement climatique.
Le 28 juillet dernier, la décision de fermer les mines d’or artisanales du pays en raison de la saison des pluies et de l’insécurité croissante a porté un coup aux moyens de subsistance locaux et à l’économie.
Le gouvernement burkinabé a déjà procédé à plusieurs reprises à la fermeture de mines d’or artisanales afin d’empêcher les terroristes de s’en servir comme source de financement, en particulier Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), le groupe le plus important et le plus influent au sein du pays. Cette approche présente toutefois des conséquences imprévues à long terme. De fait, elle risque d’affaiblir la légitimité de l’État tout en renforçant le soutien aux groupes djihadistes, avec des conséquences néfastes pour la paix et la sécurité.
En 2018, lorsque le gouverneur de la région de l’Est a ordonné la fermeture des exploitations minières artisanales afin de couper les sources de financement des groupes extrémistes violents, les mineurs lésés se sont tournés vers les djihadistes pour obtenir de l’aide. Les djihadistes ont réussi à rouvrir certaines mines.
De même, le gouvernement a interdit cette activité dans les provinces du nord à la suite d’un attentat contre la mine de Solhan en juin 2021, au cours duquel 160 personnes ont trouvé la mort. Les détracteurs ont estimé que cette interdiction ne ferait qu’attiser le mécontentement des mineurs et des communautés locales, ce qui permettrait aux groupes djihadistes de renforcer leur légitimité en maintenant l’accès aux sites miniers. Depuis l’attentat, le JNIM est resté actif dans la province.
Les gouvernements des pays d’Afrique de l’Ouest dans lesquels opèrent des groupes armés ont imposé des mesures similaires. Cependant, ces interdictions se sont souvent avérées contre-productives.
Au Niger, le gisement aurifère du plateau de Djado, le plus grand site d’exploitation minière artisanale du pays, a été fermé en 2017 pour des raisons de sécurité. Au moment de sa mise à l’arrêt, il assurait la subsistance de dizaines de milliers de personnes. Cette situation a alimenté le mécontentement des communautés Toubou et Touareg et a précipité de nombreuses personnes dans la criminalité, en particulier le banditisme.
De même, les tentatives de fermer les sites d’exploitation minière artisanale et à petite échelle dans la région du Tibesti au Tchad, afin d’empêcher les groupes rebelles de recruter et de tirer des revenus du gisement aurifère, ont au contraire favorisé l’adhésion aux groupes armés.
Les interdictions peuvent également accentuer les flux d’or illicites. Au Ghana, les flux présumés d’or illégal ont considérablement augmenté après que le gouvernement a interdit des exploitations minières à petite échelle dans le pays entre 2017 et 2018.
Le secteur aurifère fait souvent partie intégrante de la vie des communautés locales et a des répercussions importantes sur la légitimité des autorités locales et nationales aux yeux de la population. Les initiatives visant à éradiquer l’exploitation minière artisanale et à petite échelle de l’or ont tendance à affaiblir la légitimité de l’État. En privant les communautés de leurs moyens de subsistance et en fragilisant l’économie, les États attisent la méfiance et les tensions entre les populations locales et les autorités.
C’est d’autant plus vrai lorsque les communautés locales considèrent ces tactiques comme une tentative du gouvernement de prendre le contrôle du secteur aurifère au profit d’autres acteurs, accusation qui n’est pas sans fondement. De fait, les gouvernements protègent parfois les intérêts de l’élite dirigeante et des puissances financières ou favorisent les intérêts de l’industrie minière au détriment des exploitations artisanales.
Ces incidents restreignent les moyens de subsistance et exacerbent une insécurité économique déjà forte. Dans une mine d’or de la province de Yatenga, au Burkina Faso, un chef communautaire a déclaré : « Nous n’avons aucune autre activité. Si demain nous perdons tout, comment allons-nous nourrir nos familles ? »
En outre, ces événements altèrent la confiance de la communauté dans les représentants du gouvernement, et les conséquences sont désastreuses sur la légitimité et l’efficacité des pouvoirs publics au sein des communautés locales.
Les groupes djihadistes ont très souvent utilisé l’accès aux mines d’or artisanales comme principal élément de leurs stratégies de recrutement et de gouvernance. À son arrivée dans la région des Cascades au Burkina Faso au milieu de l’année 2021, le JNIM a déclaré qu’il permettrait l’accès illimité à plusieurs mines d’or dans la forêt de Dida, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire, en échange de contributions issues de l’exploitation aurifère.
Dans l’est du Burkina Faso, des prédicateurs djihadistes adressent leurs sermons aux personnes privées d’accès aux gisements d’or, présentant ainsi les groupes djihadistes comme des pourvoyeurs supplétifs de revenus.
L’exploitation minière artisanale recèle des dangers. Il s’agit notamment de l’utilisation non sécurisée d’explosifs, le risque accru d’effondrement du fait des conditions climatiques (plus important pendant la saison des pluies), l’exploitation dans des zones protégées et la pollution des cours d’eau par les produits chimiques utilisés pour traiter le minerai aurifère. Néanmoins, ces risques ne concernent pas uniquement la facette artisanale de cette activité, comme en témoignent les récents décès survenus dans des mines industrielles au Burkina Faso à cause des inondations et du climat d’insécurité.
Dans ce contexte, la fermeture des zones d’exploitation artisanale de l’or dans des régions où les autres moyens de subsistance comparables sont rares et où les groupes armés sont prêts à intervenir est-elle la stratégie la plus judicieuse ?
L’attitude adoptée par le Burkina Faso et les autres pays de la région vis-à-vis du secteur aurifère artisanal joue un rôle déterminant dans la façon dont les communautés perçoivent la légitimité de l’État et celle des groupes armés et djihadistes. Fermer les mines dans l’espoir de déstabiliser à court terme le financement des groupes djihadistes s’est avéré moyennement efficace jusqu’à présent et pourrait avoir des effets négatifs à long terme sur la sécurité économique des communautés et sur la légitimité des gouvernements aux yeux de la population.
Au lieu de prononcer des fermetures générales, mieux vaudrait s’attacher à régulariser les mines d’or artisanales informelles et à améliorer la sécurité des activités sur les sites miniers. Les gouvernements devraient garantir aux mineurs artisanaux des droits fonciers fiables et l’accès aux gisements d’or.
Ils devraient également soutenir le renforcement des capacités et mettre en place des solutions pour obtenir des financements et pratiquer le commerce formel de l’or plus accessibles pour les mineurs artisanaux et les acheteurs d’or locaux. Cela permettrait de mieux exploiter le potentiel du secteur aurifère artisanal. De telles mesures constitueraient en outre une façon plus constructive de relever les défis liés à la sécurité, à la gouvernance et à la stabilité économique, et d’atténuer les éventuelles répercussions négatives involontaires aux effets préjudiciables à long terme.
Marcena Hunter, responsable de la thématique Industries extractives et flux illicites, et Lucia Bird, directrice de l’Observatoire des économies illicites en Afrique de l’Ouest, Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée