Depuis 2016, la Côte d’Ivoire a connu au moins cinq évènements majeurs (saisies et/ou arrestations de présumés trafiquants) liés au trafic des espèces sauvages.
Le plus récent d’entre eux date du mois de janvier avec la saisie, entre autres, de 578 kg d'ivoire, d’une demi-tonne d'écailles de pangolin, de peaux de panthère. Selon les médias, les écailles de pangolins seraient le produit de braconnages en Côte d'Ivoire, tandis que les défenses d'éléphant proviendraient de pays d'Afrique de l'Ouest, de l’Est et du Centre.
Ces données résultent de multiples enquêtes visant à démanteler des réseaux de trafiquants d’espèces sauvages. Ces enquêtes sont menées par les autorités ivoiriennes, plus précisément par l’Unité de lutte contre la criminalité transnationale organisée (UCT) et le ministère des Eaux et Forêts, assistés par le réseau EAGLE – une organisation non gouvernementale spécialisée dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages.
Ces saisies et interpellations montrent que le trafic d’espèces sauvages est devenu un phénomène majeur dans le pays. Cependant, bien qu’elles en mettent en évidence les ramifications régionales et internationales, elles ne fournissent aucune indication précise sur son ampleur.
Cependant, en se basant sur les informations des médias et celles que l’on possède déjà, la dimension de ces trafics semble moins importante que ce que l’on a pu observer jusqu’à présent dans d’autres pays de la région (tels que le Nigeria ou la Guinée) ou ailleurs sur le continent, comme en Afrique de l’Est et australe.
Cela dit, ces saisies pourraient ne laisser entrevoir que la partie émergée du trafic et de ses réseaux sous-jacents. Si la dynamique actuelle des enquêtes se poursuit, d’autres saisies et découvertes de réseaux permettront sans doute d’en apprendre davantage.
Sur la base des informations communiquées lors des différentes saisies, les écailles de pangolins et l’ivoire d’éléphant sont les produits d’espèces sauvages les plus prisés dans le pays. Ils proviennent de la Côte d’Ivoire et de pays de la sous-région tels que le Burkina Faso, la Guinée, le Mali, le Nigeria et le Liberia et sont vraisemblablement destinés aux marchés asiatiques. Ce qui fait de la Côte d’Ivoire à la fois un pays d’origine et de transit.
Malgré une pratique ancienne du braconnage, ce n’est que récemment que la Côte d’Ivoire a été placée sur la carte des pays dans lesquels sévit le commerce illégal d’espèces sauvages.
Ainsi, le rapport TRAFFIC, publié en décembre 2017, qui présente les données sur les saisies et les routes du trafic mondial de pangolins entre 2010 et 2015, fait peu état de la Côte d’Ivoire. En Afrique de l’Ouest, les principaux pays indexés sont le Nigeria, la Guinée et le Liberia. Toutefois, l’implication de la Côte d’Ivoire dans un certain nombre d’incidents liés à ce trafic est reconnue, montrant la nécessité de réaliser des recherches afin de mieux appréhender la nature et l’étendue des trafics des espèces sauvages dans le pays.
S’il est clair que la Côte d’Ivoire est concerné par ce phénomène, le principal enjeu est d’éviter qu’elle n’en devienne une importante plaque tournante. Or, plusieurs facteurs internes renforcent sa vulnérabilité.
Pendant longtemps, la préservation de la faune et la lutte contre les trafics qui l’affectent ne semblent pas avoir représenté des priorités pour les autorités ivoiriennes. A titre d’illustration, la police forestière et les structures en charge de la gestion, de la préservation et de la protection des ressources fauniques et forestières disposent de moyens humains, matériels et financiers limités.
Les peines légères et peu dissuasives qu’encourent les personnes impliquées dans le commerce illicite et le trafic d’espèces protégées soulignent le peu de considération portée à cette problématique. Ces peines se limitent à une amende fixée entre 3 000 et 300 000 francs CFA (entre 4,57 et 457 euros) et/ou à un emprisonnement de deux mois à un an.
Il est généralement admis que la corruption alimente le crime organisé. Selon l’ONG EAGLE, des cas de corruption d’agents publics ont été notés dans 85 % des arrestations de trafiquants présumés auxquelles elle a contribué. Par les revenus qu’il génère, le trafic des espèces protégées affecte l’intégrité des systèmes de gouvernance, y compris celui de la sécurité et de la justice. À cet effet, la corruption et la complicité d’agents publics ont sans doute contribué à la liberté d’action dans laquelle ont, jusqu’à présent, évolué les trafiquants et pourraient continuer à alimenter le trafic.
Au-delà de l’impact médiatique suscité par chaque saisie – lequel peut avoir un effet dissuasif sur certains trafiquants –, rien n’indique jusqu’à maintenant un durcissement de la position des autorités face à ce trafic. Ce qui pourrait accroître le risque de voir cette criminalité se développer et prendre de l’ampleur.
Les trafiquants de ressources fauniques peuvent être impliqués dans d’autres activités illicites au niveau international. En effet, lors des saisies opérées en janvier dernier, des liens ont pu être établis entre les personnes arrêtées et des réseaux de trafics d’êtres humains, d’armes illicites, de cannabis et de blanchiment d’argent.
A moins que les trafics de ressources fauniques ne reçoivent une attention et une réponse appropriées, ils pourraient renforcer la présence et l’influence des groupes criminels. La criminalité transnationale organisée et la corruption dans le pays, et au-delà, s’en trouveront, par la même occasion, alimentées.
La lutte contre les trafics d’espèces sauvages requiert par conséquent des autorités ivoiriennes une réelle prise de conscience quant à sa nature de crime transnational organisé et à ses conséquences.
L’un des premiers pas vers cette prise de conscience devrait se traduire par le durcissement de la législation existante. Ainsi, la résolution 71/326 sur la lutte contre le trafic d’espèces sauvages, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2017, appelle les États à ériger en « infraction grave le trafic d’espèces de faune et de flore sauvages protégées ».
Afin de faire obstacle à la constitution durable de réseaux de trafiquants, les autorités policières et judiciaires du pays doivent renforcer les enquêtes et leurs efforts de contrôle et de surveillance.
Pour ce faire, des actions de sensibilisation et de formation des forces de sécurité (agents des eaux et forêts, police, douanes, etc.) devraient être entreprises. Elles contribueront à améliorer leurs connaissances sur la nature du trafic, les techniques employées par les trafiquants et les liens avec d’autres commerces illégaux – et à développer ou consolider leurs capacités d’enquête.
La coopération policière, judiciaire et en matière de renseignement avec les pays concernés – de la sous-région et au-delà – doit se renforcer afin de démanteler les réseaux et leurs ramifications régionales et internationales. Enfin, et c’est peut-être le plus important, une lutte efficace contre les trafics des espèces sauvages nécessitera de s’attaquer à la corruption, notamment celles des acteurs responsables de la gestion et de la protection de la faune.
William Assanvo, Coordonnateur de l’Observatoire régional sur le crime organisé ENACT – Afrique de l’Ouest, ISS