31 Jan 2022

Fauna / Endiguer la pêche illégale sur le lac Kivu

Un protocole bilatéral entre le Rwanda et la RDC offrirait une chance d’éviter l’épuisement total des réserves de poissons.

Sur le lac Kivu, déjà pauvre en biodiversité, la pêche illégale menace des espèces entières. Plus de 400 affaires impliquant 163 braconniers ont été enregistrées en 2018. Entre mai et juillet 2020, 27 rouleaux de filets clandestins non conformes ont été saisis et 10 braconniers ont été arrêtés pour pêche illégale lors d’opérations menées par l’unité de police maritime du Rwanda.

Ces incidents traduisent une hausse de la criminalité dans la région des Grands Lacs. Ils sont le fait de groupes transnationaux établis que seules des réponses renforcées et coordonnées au niveau national et régional pourront arrêter.

Le lac Kivu se trouve à cheval entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda. D’une superficie totale d’environ 2 370 km2, il se déverse dans le lac Tanganyika via la rivière Ruzizi. 58 % de ses eaux sont sur le territoire de la RDC.

La Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, dont le Rwanda et la RDC sont membres, alerte sur le fait que la pêche illégale peut entraîner la disparition totale de certaines espèces au sein d’un écosystème. Or, le lac Kivu ne compte déjà que 29 espèces de poissons connues.

Ces deux dernières années, la production halieutique dans le lac a chuté de 28 % à cause de la pêche illégale pratiquée à l’aide d’engins destructeurs. D’après les observations du département de la recherche sur les ressources animales et du transfert de technologies de l’Office rwandais de développement de l’agriculture et des ressources animales, la production halieutique dans la partie rwandaise du lac Kivu est passée de 24 199 tonnes en 2017 à 16 194 tonnes en 2020.

Plus de 400 affaires de pêche illégale impliquant 163 braconniers ont été enregistrées en 2018 sur le lac Kivu

Des membres d’une coopérative de pêche ont déclaré à ISS Today que les pêcheurs non enregistrés utilisent du matériel hors-la-loi pour attraper de jeunes poissons, ce qui contribue à l’épuisement de certaines espèces. Ils nuisent également à l’économie de la pêche légale en vendant leur poisson à « prix cassé » sur les marchés clandestins. Sur le rivage rwandais, des enfants embrigadés participent également à ces activités illicites.

En défiant constamment les mesures de suspension, les braconniers pourraient compromettre un projet du gouvernement rwandais visant à quadrupler la production de sardines dans les eaux du lac Kivu.

En RDC, l’économie criminelle de la pêche illégale sur le lac Kivu profite à divers acteurs, y compris des forces rebelles telles que le Congrès national pour la défense du peuple. Cette milice armée active dans la province du Kivu détourne souvent des pirogues de pêche et vend les prises pour financer ses activités terroristes.

Sur les rives congolaises du lac, les mesures de suivi et de contrôle des activités de pêche sont, au mieux, sporadiques. Les capacités de surveillance aérienne sont insuffisantes et les dispositifs de patrouille inadaptés. La porosité des frontières terrestres autour du lac, en particulier côté congolais où de vastes zones échappent à la vigilance des autorités, offre en outre un terrain idéal pour mener des activités en toute discrétion, telles que la pêche illégale.

Au Rwanda, la législation actuelle sur l’aquaculture et la pêche précise que le droit de pêcher dans les eaux publiques peut uniquement être accordé par une autorité compétente, qui délivre alors un permis. Ainsi, toute personne se livrant sans autorisation à des activités de pêche risque une amende de 50 à 200 USD (50 000 à 200 000 RWF), une peine de prison de trois à six mois (ou l’une de ces deux sanctions) et la confiscation du matériel utilisé.

Les pêcheurs illégaux nuisent à l’économie de la pêche légale en vendant leur poisson à « prix cassé » sur les marchés clandestins

Le développement de la pêche illégale sur le lac Kivu montre pourtant que la législation rwandaise ne suffit pas, à elle seule, à résoudre le problème. La collaboration bilatérale entre le Rwanda et la RDC joue un rôle essentiel pour enrayer la disparition potentielle des réserves de poissons dans le lac. Pour faire face à cette criminalité en plein essor, les gouvernements des deux pays devront certainement repenser leurs accords bilatéraux.

La principale faiblesse des efforts indépendants de surveillance et de lutte contre ces activités est qu’ils manquent de coordination transfrontalière. Dans ce contexte, la pêche illicite prospère et les pêcheurs utilisant des engins illégaux passent d’un pays à l’autre pour échapper à la loi.

Le Rwanda et la RDC ont récemment signé quatre accords bilatéraux clés afin de consolider encore leurs liens commerciaux et diplomatiques. Ces accords comprennent un traité bilatéral d’investissement, un accord visant à éviter la double imposition et un protocole d’accord sur une concession minière.

Un accord plus important signé entre les deux pays le 3 mai 2020 vise à contrôler l’exploitation du méthane sur le lac Kivu afin de produire de l’électricité et de préserver la biodiversité du site.

Malgré ces nombreux accords bilatéraux et le rôle majeur du lac Kivu, qui constitue la principale source de poisson local au Rwanda et une ressource importante pour la RDC, les pays n’ont pas encore noué de partenariat sur les questions de sécurité qui leur permettrait d’endiguer le fléau de la pêche illégale sur le lac.

Le développement de la pêche illégale sur le lac Kivu montre que la législation rwandaise ne suffit pas à résoudre le problème

Le Rwanda et la RDC devraient profiter du renforcement de leur engagement bilatéral pour initier un partenariat diplomatique et sécuritaire afin de protéger le lac Kivu de la pêche illégale. L’élaboration et la mise en œuvre d’un protocole bilatéral sur la pêche pourraient constituer un point de départ. Cela permettrait notamment de mener des opérations sur la base de procédures opérationnelles permanentes pour des patrouilles conjointes entre les forces de sécurité des deux pays sur le lac Kivu.

Ces procédures devraient préciser la méthode de formation, les modalités de partage des renseignements, les domaines de responsabilité et les processus de justice pénale concernant l’arrestation, la détention et la poursuite des personnes pratiquant la pêche illégale sur le lac.

Pour garantir la bonne application de ces procédures, il faudrait également incorporer des lignes directrices dans les doctrines et les pratiques de lutte contre la criminalité de la marine congolaise et des unités de police maritime de la RDC et du Rwanda. Ces connaissances viendraient appuyer les activités quotidiennes de surveillance des forces de sécurité sur l’ensemble du lac Kivu. Et tous ces efforts pourraient commencer à inverser le mouvement face aux braconniers.

Oluwole Ojewale, coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé d’ENACT – Afrique centrale, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

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