En mai 2023, un douanier à Douala, au Cameroun, appose son cachet sur une cargaison de bois en provenance de la République centrafricaine (RCA) à destination de la Chine. Un chargement de routine, un acte quotidien dans le commerce international.
Cependant, la société qui exporte les grumes (le Wood International Group) appartient à un réseau d'entreprises africaines exploitées par le groupe Wagner, la célèbre société militaire privée russe. Les États-Unis ont placé Wood International Group sous sanctions en septembre dernier.
Wagner opère dans une zone grise entre économie légale et illégale. Le groupe a déployé des mercenaires dans plusieurs pays africains, généralement en échange d'un accès aux ressources naturelles, notamment l'or et le diamant. Les entreprises liées à Wagner ont exploité ces ressources de manière illégale et irrégulière, en utilisant la corruption. Pendant des années, Douala a été une plaque tournante pour l’importation d’équipements et l’exportation du bois, entre autres, par ces entreprises.
Les grumes exportées par Wood International Group ne sont pas les seules cargaisons de bois suspectes à avoir transité par Douala. Le port est depuis longtemps une voie importante de transit pour le bois abattu de manière illicite dans les forêts du Cameroun et des pays voisins.
Une enquête récente du Pulitzer Center a révélé que, malgré les efforts du Cameroun pour lutter contre l'exploitation forestière illégale, on assiste à une « augmentation troublante » du nombre de cas. Le bois abattu illégalement est le plus souvent blanchi par l'intermédiaire de sociétés d'exploitation forestière légales. Celles-ci exploitent des scieries et des entrepôts à proximité des ports les plus importants du Cameroun, Douala et Kribi. Les principaux pays de destination sont la Chine et le Vietnam.
Les données officielles donnent une indication de l'ampleur de ce commerce. COMTRADE, la base de données des Nations unies sur les échanges mondiaux, dispose de statistiques sur les importations de bois en provenance du Cameroun déclarées par la Chine et le Vietnam, et sur les exportations déclarées par le Cameroun vers ces pays. L'analyse de ces données entre 2013 et 2018 (les derniers chiffres permettant une comparaison) montre un écart de 1,099 milliard de dollars US, ce qui révèle un volume important de commerce non déclaré ou illégal.
Douala est le principal port maritime et la capitale économique du Cameroun. Il gère un peu moins de 85 % du commerce international du pays (selon les estimations des autorités portuaires). La ville est une plaque tournante du commerce international entre le Cameroun et ses voisins, notamment la RCA et le Tchad, pays enclavés. Il n'est donc pas surprenant que les réseaux criminels utilisent le port comme voie de transit et porte d'entrée entre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale et les marchés internationaux.
L'exploitation des plateformes de transport par les réseaux criminels, en particulier des ports, est un problème universel. Les ports maritimes transportent la grande majorité des échanges mondiaux, licites ou illicites. Plus de 80 % du commerce mondial de marchandises se fait par voie maritime, selon les données de 2021 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Ce pourcentage est encore plus élevé pour la plupart des pays en développement.
Qu'il s'agisse de carburant, de céréales ou de biens de consommation, toute grande chaîne d'approvisionnement internationale repose sur le commerce maritime. Les installations portuaires constituent également la cible d’infiltrations de réseaux criminels cherchant à accéder aux marchés mondiaux. Ce phénomène a été observé au Cameroun et dans le monde entier.
Près de 65 % de la cocaïne saisie dans l'ensemble des ports de l'Union européenne (UE) en 2020 a été interceptée dans les grands ports d'Anvers et de Rotterdam. Une étude réalisée en 2023 par l'agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) a révélé que « les ports sont également exploités pour acheminer des cargaisons de marchandises illégales vers l'UE et sont vulnérables à l'infiltration par des réseaux criminels ». Europol a déclaré que l’importance du volume de conteneurs transportés chaque année rendait difficile la détection des marchandises illicites.
En 2022, l'Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale (GI-TOC) a cartographié les points névralgiques des économies illicites et des conflits violents en Afrique de l'Ouest. Elle a mis au point l'Observatoire des économies illicites et de l'instabilité afin d'évaluer le rôle de ces économies dans l'alimentation de l'instabilité. Au total, 280 centres ont été identifiés dans 18 pays de l'Afrique de l'Ouest.
L'Observatoire a confirmé que dans la région « les infrastructures de transport, telles que les ports maritimes et les aéroports, sont des nœuds essentiels des économies illicites régionales et mondiales ». Plusieurs centres côtiers, dont Douala et d'autres ports camerounais, ont été classés comme présentant un « risque élevé » d'activités illicites et criminelles.
Ces dernières années, des réformes en matière de sécurité ont permis d'améliorer la surveillance des marchandises dans le port de Douala et d'adapter la gestion du port aux normes internationales. Cependant, une recherche en cours de GI-TOC sur le port a montré que des vulnérabilités persistent et que des améliorations à la sécurité peuvent être sapées par la corruption.
Les mauvaises conditions de travail — dans le port lui-même et ses infrastructures de transport — rendent le personnel vulnérable au recrutement et à l'exploitation par des réseaux criminels. Elles présentent également un risque élevé d'accidents pour les employés du port.
Douala montre l'importance de renforcer l'aspect humain de la gestion portuaire. Parallèlement aux progrès techniques et physiques sur le plan de la sécurité portuaire, il est essentiel d'améliorer la responsabilisation et les conditions de travail. Les mêmes leçons pourraient être appliquées à d'autres ports et infrastructures en Afrique qui sont confrontés à une exploitation similaire par des groupes criminels organisés.