23 Jul 2018

Un tournant dans la lutte de l’Afrique de l’Ouest contre le crime organisé?

Les changements à la tête de la CEDEAO pourrait insuffler l’élan politique nécessaire à la réponse de la région contre le crime organisé.

L'Afrique de l'Ouest est souvent décrite comme le foyer du crime organisé sur le continent. La région est confrontée à de nombreux défis liés aux diverses activités illicites, et il est difficile de trouver des exemples où des mesures décisives ont produit des résultats tangibles ou durables contre ces crimes.

L'Afrique de l'Ouest abrite divers trafics illicites : drogues, armes, êtres humains, voitures volées, cigarettes, médicaments contrefaits, objets culturels et espèces animales protégées. Les ressources naturelles telles que l'or, les diamants et le pétrole font l'objet de contrebande ou d'un commerce illégal, tout comme les cultures de rente telles que le cacao et les noix de cajou, ainsi que divers biens de consommation. D'autres types de crimes transnationaux sont également répandus et en augmentation, notamment le blanchiment d'argent, le vol de bétail, la cybercriminalité et les activités illégales en mer.

Cette année, plusieurs opportunités s’offrent à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) de revoir, repenser et redynamiser la lutte contre le crime organisé dans la région. L'organisation a ainsi la possibilité de renforcer considérablement son rôle en tant que cadre régional pour le développement de politiques et d'actions sur ces questions.

L’Afrique de l’Ouest est souvent décrite comme le foyer continental du crime organisé

Au début du mois de mars, Jean-Claude Brou a pris ses fonctions de nouveau président de la Commission de la CEDEAO, ce qui pourrait permettre de donner un nouveau souffle au leadership de l’organisation. La Commission a aussi accueilli de nouveaux commissaires.

Cette année marque également les dix ans de l'adoption de la Déclaration politique sur la prévention de l'abus des drogues, le trafic illicite de drogues et les crimes organisés en Afrique de l'Ouest, à Praïa, au Cap-Vert. Le texte a été approuvé le 19 décembre 2008 par les chefs d'État lors du 35e sommet de la CEDEAO à Abuja au Nigeria.

Également appelée « Déclaration d'Abuja », elle devait consacrer la reconnaissance partagée par les dirigeants de l'Afrique de l'Ouest de l'ampleur des drogues illicites et, dans une certaine mesure, du crime organisé dans la région. Elle visait à démontrer leur engagement à définir et à mettre en œuvre des réponses appropriées.

La Déclaration d'Abuja et son plan d'action régional constituent les principaux cadres politiques et opérationnels de la CEDEAO concernant le crime organisé. Toutefois, malgré de nombreuses références au crime organisé en général, l'accent est clairement mis sur les drogues − et plus particulièrement sur la réduction de la demande.

Alors que les problèmes liés à la drogue demeurent une préoccupation majeure, diverses autres formes de criminalité transnationale organisée ont également évolué

Bien qu’elle ait pu refléter les principales préoccupations de la région en 2008, la réalité de 2018 est différente. Les dynamiques qui sous-tendent la demande et le trafic de drogues ont évolué, et pas nécessairement dans le bon sens.

Alors que les problèmes liés à la drogue demeurent, à juste titre, une préoccupation majeure, diverses autres formes de criminalité transnationale organisée ont également évolué. Comprendre la nature et l'ampleur de ces crimes n'a jamais présenté un défi aussi important, de même que leur impact sur les sociétés ouest-africaines n'a jamais été aussi pernicieux.

Aucun pays d'Afrique de l'Ouest n'est épargné par le crime organisé sous une forme ou une autre. Les changements survenus au cours de la dernière décennie appellent à la révision de la Déclaration d'Abuja. La lutte contre le crime transnational organisé dans la région nécessite un nouvel élan politique.

La CEDEAO est confrontée à plusieurs défis. Premièrement, l'organisme régional peine à articuler une posture unifiée sur le crime organisé qui prenne en compte sa complexité, sa nature évolutive et son impact multiforme dans la région. Cela entrave considérablement toute action efficace.

Deuxièmement, la coopération régionale fait cruellement défaut. Bien qu’on ait appelé à de trop nombreuses reprises à son renforcement, il n’est pas inutile de rappeler qu’elle est impérative.

Plusieurs cadres de coopération existent au niveau de la CEDEAO, mais la coopération régionale fait encore défaut

Plusieurs cadres de coopération existent au niveau de la CEDEAO : la Convention sur l'assistance mutuelle en matière pénale (1992) ; l'Accord de coopération entre les forces de police chargées d'enquêter en matière pénale (2002) ; le Protocole portant création du Bureau de renseignements et d'enquêtes criminels (Criminal Intelligence and Investigation Bureau – CIIB, adopté en 2006).

Conçu pour soutenir les États membres dans leur lutte contre le crime transnational organisé, le CIIB n'est pas encore opérationnel. D'un autre côté, le Comité des chefs de police de l'Afrique de l'Ouest, ainsi que le Comité des chefs des services de sécurité, qui sont autant de cadres de coopération, sont bien établis. Cependant, ils  se rencontrent rarement, ce qui nuit à leur efficacité.

La CEDEAO dispose également de plusieurs instruments politiques, juridiques et opérationnels contre des formes spécifiques ou certains aspects de la criminalité organisée : le Protocole sur la lutte contre la corruption (2001) ; la Convention sur les armes légères et de petit calibre (2006) ; la Stratégie antiterroriste et son plan de mise en œuvre (2013) ; la Stratégie de sécurité maritime intégrée et son plan de mise en œuvre (2014) ; le Plan d'action antidrogue (2016-2020).

Malheureusement, une fois adoptés, ces instruments restent largement inefficaces. Nonobstant les changements institutionnels au niveau de la CEDEAO, la responsabilité première de la lutte contre le crime organisé incombe aux États membres. La Commission de la CEDEAO devra intensifier son plaidoyer en faveur des instruments disponibles pour que les États membres se les approprient pleinement et les mettent en œuvre.

Une intégration efficace des différents départements de la Commission de la CEDEAO fait également défaut. Les questions liées à la traite des personnes, aux drogues, à la cybercriminalité et aux armes illicites sont actuellement prises en charge par différents départements − un compartimentage qui a des répercussions au niveau des orientations politiques et de l’action.

Avec la mise en place d’une nouvelle équipe au niveau de sa Commission, la CEDEAO a l'occasion de donner un nouvel élan à ses propres structures et de soutenir les pays d'Afrique de l'Ouest dans leur lutte contre le fléau du crime organisé. La région pourrait atténuer l'impact des crimes transnationaux en prenant des mesures décisives et en adaptant et en mettant en œuvre les protocoles existants.

William Assanvo, coordonnateur de l’Observatoire régional du crime organisé - Afrique de l’Ouest, ISS/ENACT

EU Flag
ENACT is funded by the European Union
ISS Donors
Interpol
Global
ENACT is implemented by the Institute for Security Studies in partnership with
INTERPOL and the Global Initiative against Transnational Organized Crime.